Nausicaa de la vallée du vent (11 mars 1984)

Ce qui fut une fois une florissante civilisation industrielle a disparu lors des septs jour de feu. La terre, maintenant couverte par des forêts rejetant des gaz empoisonnés gardées par des insectes géants, se remet lentement et les humains continuent à vivre... Bien des temps après, des pays se sont reformés dont la Vallée du vent, petit pays agricole indépendant situé au bord d'une forêt toxique. Veritable petit paradis, la Vallée du vent est protegée des vapeurs toxiques par les vents venants de la mer et prospère tranquillement sous le règne bienfaisant du roi Jhil et de sa fille Nausicaa. Mélée malgré elle à une guerre entre deux pays voisins, Nausicaa va tout faire pour protéger son peuple, arreter la guerre et montrer au monde le rôle que jouent la forêt toxique et les insectes dans la purification du monde.

Nausicaä de la Vallée du Vent lutte contre les guerres de pouvoir d'une humanité en déclin menacée par l'avancée de la forêt de la décomposition, et elle entre dans l'histoire… A la question "Pourquoi choisissez-vous toujours une fille comme personnage principal ?" : Hayao MIYAZAKI répond : "Ce choix n'appartient pas à un schéma établi. Si on compare un garçon et une fille dans le feu de l'action, je crois que la fille a plus d'élégance. Je ne ressens rien de spécial en voyant un homme marcher à grandes enjambées, mais si une fille marche avec élégance, je me dis que c'est agréable à voir. Peut-être est-ce parce que je suis un homme, et les femmes pensent probablement qu'il est agréable d'observer un homme dans la même situation. Au début, je pensais "ce n'est plus l'époque des hommes". Mais après dix ans, je deviens fatigué de répéter cela. Je dis juste "parce que j'aime les femmes ". C'est plus compréhensible comme argument." A défaut d’être connu de tous, "Nausicaä, de la Vallée du Vent" ["Kase no Tani no Nausica", 1982] est un des ouvrages préférés des lecteurs de Science-Fiction qui l’ont lu. Pièce charnière de toute l'œuvre de MIYAZAKI, "Nausicaä" permit non seulement à MIYAZAKI de fonder le studio Ghibli [via le succès de l'animé éponyme qui suivit en 1984] mais lui permit aussi d'approfondir sur la longueur [1982-1994] les péripéties et les motivations de son héroïne. Si le personnage de Nausicaä est inspiré d'un croisement entre la Nausicaä de la mythologie grecque et la "princesse qui aimait les insectes" issue du folklore japonais [se reporter à ce sujet à la présentation de Nausicaä par Hayao MIYAZAKI à la fin du premier tome], Nausicaä et son monde trouve aussi ses racines dans des ouvrages qui appartiennent de près ou de loin à la sphère SF. Première influence reconnue par MIYAZAKI, "Le Monde Vert" de Brian ALDISS où la végétation a pris possession de la Terre et où les hommes sont quasiment réduits à l'état de singes. La forêt de la décomposition qui recouvre le monde de Nausicaä, en constante mutation, vivante, et qui exerce une profonde fascination sur Nausicaä, doit beaucoup aux descriptions de la vie du monde végétal de ce roman. La seconde influence principale est le cycle de "Terremer" de Ursula K. Le GUIN. L'apprentissage de la nature, son côté "magique", mais aussi le pouvoir sacré des noms, sont des éléments qu'on retrouve régulièrement dans Nausicaä. D'autres influences ou ressemblances diverses se font également sentir. La plus importante est "Dune" de Frank HERBERT où de nombreux parallèles s'établissent entre les premiers tomes de chacun de ces cycles : les ômus, les insectes-rois, qui parcourent la mer de la décomposition et les vers des sables ; la naissance de l'épice et la naissance de la forêt purifiée ; la pièce secrète de Nausicaä et la serre d'Arrakeen ; le côté messianique des deux œuvres ; les maîtres-vers et les fremens… Nausicaä nous ayant dit adieu en mars 1994, son histoire a eu le temps de mûrir jusqu'à ce qu'elle se fonde avec la vision du monde de son auteur - ou que l'auteur se fonde à la vision du monde de Nausicaä : "Nausicaä a changé ma façon de penser. Pendant que j'essayais de conclure Nausicaä, j'ai effectué ce que certains appellent un tournant. J'ai totalement abandonné le marxisme. Mais je n'ai pas eu d'autre solution que de l'abandonner. J'ai décidé que c'était faux, que son matérialisme historique aussi et que je ne devais plus voir les choses ainsi. Et cela a été un peu dur. Même maintenant, je pense quelques fois que les choses seraient plus faciles si je n'avais pas changé. Ce n'est pas que j'ai changé de manière drastique ou changé par une lutte sans merci pendant que j'écrivais, mais des questions intérieures me sont devenues irrésistibles. Je pense que ce changement net dans ma manière de penser est venu de mon écriture sur Nausicaä, plus que par le changement de ma position dans la société."

Pourquoi "Nausicaä" est-elle une œuvre puissante au point d'avoir une emprise sur de nombreux auteurs de Science-Fiction

Tout y est

La quête initiatique de "Nausicaä" tisse la tapisserie d'un Futur dévasté où l’homme doit réapprendre à vivre dans et avec son monde. Cette chanson de geste met en scène les destins croisés d’individus pris au cœur d’une tourmente historique, théâtralise les mouvements de peuplades en guerres, avec leur cortège d'alliances, de trahisons, de combats et de secrets remontant des temps anciens [tous les ingrédients d'un bon Planète-Opera]. Et on y croise également de bons gros robots [MIYAZAKI a beaucoup lu ASIMOV]. A cette fresque épique, il ne manque sans doute que les étoiles. Cela n'est guère étonnant quand on sait que les préoccupations de MIYAZAKI sont avant tout terriennes. Avant de conquérir les étoiles l’homme ne doit-il pas d’abord se préoccuper de reconquérir sa planète ?

Tout y trouve un sens

Comme vu précédemment, MIYAZAKI a porté "Nausicaä" en lui, l'a fait évolué au fur et à mesure que sa conception du monde évoluait, et que les solutions qui pouvaient s’offrir à l’humanité lui apparaissaient. Chacun des personnages secondaires ou chacune des peuplades est la représentation d'un choix de vie possible. Et MIYAZAKI se contente de comprendre ces choix et d'essayer de montrer à quelle évolution de l'humanité et de la Terre chaque choix conduirait. Quelques exemples de ces choix : Les Tolmèques : Cet empire est animé par la vanité et la soif de pouvoir. Au sujet de cette soif de pouvoir, MIYAZAKI écrit via les lèvres de la princesse Kushana : "Il n'y aura aucun vainqueur. Ce lieu deviendra une mer de sang et marquera l'achèvement final de ce cycle de haine éternelle". Néanmoins, MIYAZAKI accorde le pardon aux Tolmèques à partir du moment où ils abandonnent l'aspect tyrannique de leur empire ["Depuis ce temps-là Tolmèque demeure un royaume sans roi"]. Les Dorks : Même combat. La destinée de l'empereur Dork [l'accès au paradis] est révélatrice de l'absence de manichéisme du récit. Quant au premier saint empereur Dork, il apparaît que sa volonté première était lui aussi de faire le bien. C'est la manière de MIYAZAKI de montrer que "personne ne pense commettre des erreurs dans ses actes" [dixit le gardien du jardin où échoue un temps Nausicaä]. Les maîtres-vers : Ils symbolisent le renoncement, l'errance et la dévotion béate. A priori fortement antipathiques, ils apparaissent au fur et à mesure plus sensés qu'il n'y paraît. Les habitants de la vallée du vent : Rien que le nom est tout un symbole. Ils représentent une volonté désespérée de tenir le coup en s'attachant à des valeurs sociales et traditionnelles [c'est de cette peuplade que MIYAZAKI se sent le plus proche]. Le peuple de la forêt : Ce peuple a choisi le retour à une vie primitive et harmonieuse. MIYAZAKI est tentée par ce choix mais il lui apparaît trop utopique, et l'ignorance et le rejet des autres peuplades qu'il implique le fait hésiter [L'épilogue ne dit pas si Nausicaä va finalement les rejoindre]. Les écologistes de l'ancien temps : C'est l'occasion pour MIYAZAKI de confirmer sa rupture avec les différents mouvements écologistes. Sans les renier, il les comprend mais sa "foi" le conduit ailleurs. Il s'exprime ainsi par la voix de Nausicaä : "Je ne doute pas que tu sois issu de l'idéalisme et du sens du devoir de cette époque désespérée. Pourquoi ces hommes et ces femmes n'ont-ils pas réalisé que la pureté et la pollution représentent toutes deux la vie ?! Souffrances, tragédies et folies ne s'effaceront pas pour autant dans un monde pur. Elles font partie intégrante de l'humanité. C'est aussi pourquoi, même dans un monde de souffrances, on peut trouver de la joie et des lueurs d'espoir." La princesse Kushana : Elle est animée par la vengeance. MIYAZAKI ne critique pas cette attitude, il ne fait qu'amener celui ou celle qui a cette attitude à découvrir son inanité : "Au moment où les insectes sont venus…un de mes pires ennemis est mort subitement devant mes yeux, et moi je ne vivais que dans l'espoir de le tuer de mes mains…je me suis sentie si vide que je ne percevais même pas les scènes d'horreur qui défilaient autour de moi…seule demeurait une profonde tristesse…" Au-delà de tous ces choix, il y a évidemment celui qui s'impose à MIYAZAKI : Celui de Nausicaä. Ce choix n'est pas écologique puisque Nausicaä se bat pour la survie de son peuple [et de l'humanité au passage]. Elle se bat contre la forêt de la décomposition qui veut éradiquer cette humanité polluante, alors qu'en parallèle elle aime cette forêt et ses insectes ["Notre dieu lui, est vivant dans la moindre feuille et le moindre insecte !"]. Elle va même jusqu'à rejeter l'Eden. Savoir que celui-ci existe lui suffit. Son objectif est d'amener la paix, de combattre le futur imposé par des assoiffés de pouvoir ou par des écologistes idéalistes. Son idéal est un idéal de paix et d'amour. Elle est convaincue que tous les organismes terrestres peuvent vivre ensemble. Elle prône la vie par dessus tout : "Notre dieu des vents nous enseigne que la vie est au-dessus de tout ! Et moi, j'aime la vie ! La lumière, le ciel, les hommes, les insectes, je les aime plus que tout !! Je ne renoncerai jamais." Elle va tout faire pour comprendre chaque peuple, chaque individu : "Nausicaa n'est pas un personnage qui vient à bout d'un ennemi, mais qui le comprend ou l'accepte comme il est, afin de l'amener à lui faire refaire ces choix de lui-même pour vivre en harmonie avec les autres et avec leur Terre" dit MIYAZAKI. Le parallèle avec l'Enée de "L'Eveil d'Endymion" de Dan SIMMONS est flagrant. Au fil des ans, c’est ce principe que s’est forgé MIYAZAKI et qu’il ne cessera de développer. Mais si c’est cette opinion qu’il préfère, il n’assène aucune morale [la fin est ouverte] et ne rejette aucune attitude. Il essaye juste de toutes les faire comprendre et accepter, et de les faire converger vers un but commun. L'idéal de Nausicaä peut paraître simpliste mais MIYAZAKI est réaliste, il a conscience de l'aspect peut-être un peu trop chimérique des envies de Nausicaä. Il sait qu’une telle évolution ne se fera pas sans sacrifice. La mort de deux des personnages les plus attachants vers la fin du récit en est la preuve. Mais par ce sacrifice [qui là encore évoque "L'Eveil d'Endymion"], Nausicaä, et donc MIYAZAKI, fait preuve d'une magnifique acceptation de la mort : "Nos vies sont comme le vent, ou les sons…nous naissons, résonnons avec ce qui nous entoure…puis disparaissons." A partir du moment où le concept de mort est assimilé, Nausicaä n'a plus peur, et sans la peur, son utopie paraît envisageable par ce simple fait que "même si notre chemin est difficile…nous devons vivre…". D'un amoureux de la nature, on aurait pu également s'attendre à un rejet de la technologie. Il n'en ait rien. Quand Nausicaä doit baptiser le dieu-guerrier, l'un des immenses robots à l'origine des "sept jours de feu" et donc responsables du déclin de l'humanité, elle choisit le nom "Innocence". Les machines ne sont pas mauvaises, ce sont les humaines qui décident si les actions de celles-ci vont devenir bonnes ou mauvaises.

L'objectif de Nausicaä est clair : combattre un futur préprogrammé. Une fois ce futur vaincu, l'idée que MIYAZAKI se fait de l'utopie peut prendre vie : évoluons tous ensemble librement. "Nos corps ont peut-être été transformés artificiellement, mais nos vies nous appartiennent à jamais !! La vie survit par le pouvoir de la vie ! Si une telle aube doit venir, alors nous y ferons face et nous survivrons ! Même si nous crachons notre sang, nous serons tels les oiseaux qui survolent ce matin encore et encore, sans jamais cesser !! Vivre, c'est évoluer ! Les ômus, le fongus, les arbres et les plantes, les hommes, nous tous évolueront ! Et la mer de la décomposition avec nous !" En tournant une des plus belles pages de la Science-Fiction, MIYAZAKI nous met sur le chemin d'un monde meilleur auquel il est doux de rêver. "Ce serait si merveilleux de vivre tous ensemble. Dans ce monde libéré de poisons et de miasmes…mais si les hommes de maintenant connaissaient son existence, ils commenceraient encore à en croire qu'ils en sont les maîtres, ils dévoreraient cette terre naissante et fragile et répéteraient sans cesse les mêmes folies. Dans un millénaire, ou peut-être plus, tu grandiras et deviendras plus forte. Et si l'humanité survit jusque là et qu'elle apprend la sagesse…alors nous partirons te retrouver."

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