A l'occasion de la sortie ciné du "Voyage de Chihiro", que l'on peut d'ores et déjà considérer comme l'une des meilleures et des plus populaires productions du studio Ghibli, Dvdanime.net vous propose une première interview du maître Hayao Miyasaki. Elle a été réalisée lors du Festival des Nouvelles images du Japon (dec.2001) et plus précisément après la projection de presse, avant-première française. Après avoir reçu les médailles Vermillon de la Ville de Paris puis des Arts et des Lettres, le réalisateur a bien voulu répondre aux questions posées par le directeur du Forum des images puis à celles des journalistes :
Forum des images : Vous avez une méthode de travail particulière, votre histoire se développe au fur et à mesure ?
Hayao Miyazaki : C'est vrai en fait, l'idéal serait d'avoir terminé avant de commencer le travail mais le story board avance. Je ne vous conseille pas cette méthode.
FDI : Avec cette méthode de travail, la définition et la création des personnages est-elle difficile ou compliquée ?
H.M : Ce qui m'inquiète le plus, ce n'est pas l'empathie des personnages mais la durée du film. Le film va-t-il durer trois ou quatre heures? Je ne veux pas que le travail de mon équipe soit annulé car je le respecte beaucoup.
FDI : Lorsqu'un personnage est créé, vous le gardez jusqu'au bout ?
H.M : Les personnages naissent dans ma tête, je les écris. C'est à partir du moment où ils commencent à vivre, toujours dans ma tête, que je les dessine, je les jette, je les force à vivre avec beaucoup d'émotions.
FDI :Comment expliquez-vous que la projection personnelle que vous faites dans vos films soit une jeune fille ?
H.M : Je pourrais vous répondre de manière très longue et très complexe mais je préfère vous répondre que j'aime les femmes.
FDI : On retrouve un environnement fantastique plus ou moins développé selon les films (Le Voyage de Chihiro, Mon Voisin Totoro, Princesse Mononoke) ou offrant une grande documentation. Quel est le déclencheur d'une direction esthétique plutôt qu'une autre ?
H.M : J'ai un stock considérable de matériel et le choix correspond au moment où je vais faire le film. Je voyage avec beaucoup de cadres dans ma tête, celui de Totoro existe depuis treize ans, pareil pour Chihiro. Les mondes que je dessine sont déjà dans ma tête depuis plusieurs années.
FDI : La nostalgie dans vos films est un sentiment très développé. On la retrouve dans Porco Rosso, Mon voisin Totoro, celui-ci également…
H.M : Oui, je pense que la nostalgie a plusieurs apparences, ce n'est pas l'apanage des anciens, les enfants en ont également. C'est un sentiment très partagé par les humains.
FDI : Contrairement à la vision d'un futur très sombre que l'on trouve dans beaucoup de films d'animation, vos films sont optimistes ?
H.M : Je suis pessimiste, cependant quand je fais un film pour les enfants, je ne veux pas leur imposer cette vision. Les adultes ne doivent pas forcer les enfants à voir ce monde.
FDI : Vos films sont uniquement pour les enfants ?
H.M : Pas Porco Rosso, tous les autres étaient principalement destinés aux enfants en effet.
FDI : Pourtant beaucoup d'adultes viennent sans leurs enfants...
H.M : C'est quelque chose qui me fait très plaisir bien sûr. Simplement un film qui est fait de toutes nos forces pour les enfants peut aussi plaire aux adultes, l'inverse n'étant pas vrai. Dans les films pour enfants, il y a toujours la possibilité de recommencer.
FDI : Nous avons la sensation d'une incroyable liberté d'auteur : des rebondissements, des changements de ton au mépris parfois de toute logique…
H.M : La logique concerne la partie superficielle du cerveau. C'est impossible de faire un film en tenant compte de la logique. C'est lorsque je m'en suis aperçu que les portes de l'inconscient se sont ouvertes. C'est au moment où le simple outil de logique est dépassé que l'histoire commence vraiment. Mais c'est très dangereux car des images très lointaines de la vie sociale en sortent. Ce que j'utilise est en dehors de la conscience. Je laisse libre champ aux idées qui me viennent sans logique. Quand Chihiro veut prendre le train toute seule, c'est le sommet du film, la fin. Ce moment ne s'explique pas facilement. Tout le monde se souvient de cette première fois, ce sentiment d'angoisse et de solitude. Si il y avait eu des décors, il n'aurait pas été aussi fort. Je suis certain que personne ne se souvient du paysage. J'avais préparé ce moment sans le savoir car dans la précédente scène il avait plu et donc on ne voyait plus le paysage. Cela est un travail inconscient. Et c'est en travaillant de cette manière que j'ai reconnu la force de l'inconscient par rapport à la logique.
FDI : Vous perpétuez la tradition des conteurs d'histoire, pourquoi est-ce aussi nécéssaire ?
H.M : Je n'ai pas l'impression d'être un conteur mais un dessinateur. Cependant je crois à la force des contes. Ils ont un rôle fondamental dans l'existence. Beaucoup de personnes sont encore motivées grâce à cela.
FDI : Votre film Le voyage de Chihiro a été caractérisé par le terme de " Fantasy "…
H.M : Je vois que l'imaginaire est très important mais que ce terme est un peu galvaudé. La réalité de l'imagination doit être présente. Il faut faire attention à ce terme car il s'applique aux jeux télévisés et aux jeux vidéo. Le monde de l'imaginaire doit apporter quelque chose et ne pas basculer dans l'ère de la réalité virtuelle. C'est un dilemme contre lequel je me bats.
FDI : Comment gérez-vous les moments-clés de vos films ?
H.M : En raison de ma méthode de travail, chaque scène devient une scène centrale. Je les considère toutes importantes. Je résouds les problèmes les uns après les autres. Dans le film, deux scènes sont symboliques. La première est lorsque Chihiro est recroquevillée dans la voiture et l'autre lorsqu'elle est libre et indépendante. Ce n'est pas moi qui fabrique le film, il se fait lui-même.
Journaliste : Chihiro est une héroïne un peu différente, peu motivée et paresseuse, pourquoi ?
H.M : Je n'ai pas choisi. Il y a beaucoup de petites filles comme ça qui sont blasées. Quand j'ai dessiné le story board et que les parents appellent, la fille ne répond toujours pas au bout de la deuxième fois, l'équipe m'a dit que c'était mieux trois fois. J'ai fait Le Voyage de Chihiro car il n'existait pas de film pour les petites filles de dix ans. Elle devait être ordinaire. A chaque fois que je la dessinais, je me posais la question de savoir si mes petites nièces pouvait faire cela. En voyant leur joie j'ai su que je n'avais pas trahi leur attente.
Journaliste : Comme pour Porco Rosso il y a un cochon. Pourquoi ?
H.M : C'est plus facile à dessiner que des chameaux ou des girafes ou un ours blanc. En fait, cela correspond à ce que je voulais dire, les humains se comportent comme eux. J'aime bien les cochons pour leurs qualités et leurs défauts. Finalement nous sommes assez proches.
Journaliste : Que pouvez-vous nous dire sur la séquence du dieu putride, cette créature est-elle inspirée de la mythologie japonaise?
H.M : Elle n'est pas inspirée de la mythologie mais bien de ma propre expérience. Il y a une rivière à côté de chez moi où l'eau semble propre mais au fond on trouve un tas de choses et elle dégage une odeur vraiment immonde.
Journaliste : Pouvez-vous nous parler de vos projets ?
H.M : Il est prévu au studio Ghibli l'ouverture d'une petite salle où je veux présenter des courts-métrages pour ce petit musée.
Journaliste : Pensez-vous que la nostalgie est un sentiment partagé par tout le monde ?
H.M : Le fait de vivre amène à perdre quelque chose, c'est donc un sentiment naturel.
Journaliste : L'impact de vos films change-t-il votre manière de travailler ?
H.M : Non, le cinéma est incertain et nous ne savons jamais si le film plaira ou non. Pour moi, le succès ou l 'échec n'a pas d'importance.
Journaliste : Connaissez-vous certains réalisateurs de films d'animation européens ?
H.M : Nous avons été introduits au cinéma d'animation grâce à Paul Grimault et son film La bergère et le ramoneur. A part cela j'ai vu beaucoup de films mais je ne me souviens pas des noms des réalisateurs. La Reine des Neiges a eu une influence décisive mais je ne me souviens pas non plus du nom du réalisateur.
Questions à Mr Suzuki et Mr Miyazaki : Quels sont les prochains projets du studio Ghibli ?
Mr Suzuki : Un jeune réalisateur est en train de terminer un film qui sortira l'été prochain.
Mr Miyazaki : Superviser ce film est une épreuve très très dure.
Public: Est-ce que "Le voyage de Chihiro" est votre dernière réalisation et met ainsi fin à votre carrière?
Hayao Miyazaki: "Non, ce n'est pas la dernière mais peut-être au contraire la première d'un nouveau cycle".
Une fois terminés, regardez-vous vos films et en êtes vous satisfait?
HM: "Non, je n'en suis jamais pleinement satisfait. Cependant il n'y a rien à ajouter non plus (rire). Il faut les regarder une fois qu'ils sont achevés, mais après je ne les regarde plus".
Il a fallu plusieurs années pour que certains de vos films comme "Mon voisin Totoro" ou "Princesse Mononoke" soient produits; cela leur a-t-il apporté une certaine maturité?
HM: "C'est cruel de devoir attendre mais j'essaie de l' enrichir. C'est le résultat d'une stratégie de ma part, je ne veux pas confier le sort de mes films à n'importe quel prix, je préfère attendre et en faire un autre à la place".
Je connais bien votre filmographie et votre style, pourtant vos nouveaux films surprennent et défient à chaque fois l'attente des spectateurs..
HM: "En effet, ce n'est pas facile de dire que mes histoires sont dans leur continuité et j'essaye à chaque fois de les décevoir".
Quelle est l'oeuvre que vous avez réalisée qui vous plait le plus?
HM: "Tous ces films sont mes enfants et je les aime tous sans distinction".
Où trouvez-vous toute cette imagination?
HM: "Elle vient du fait de ne jamais refaire la même chose deux fois; cependant mes amis me disent que c'est pourtant ce que je fais (rire)".
D'après certains articles, vous êtes perçu comme quelqu'un de très sévère lors de la réalisation de vos films. Est-ce nécessaire, cela vous permet-il d'arriver à vos fins plus facilement?
HM: "Si je fais cela, ce n'est pas pour rendre mon équipe esclave mais bien au contraire pour qu'elle puisse être satisfaite et fière du résultat".
Est-ce que vous reviendrez un jour à la bande dessinée?
HM: "Ce n'est pas dans mes projets immédiats et ça n'arrivera pas avant longtemps".
Quand vous créez un univers et des personnages, vous le faites pour vous ou bien pour transmettre toute cette imagination au public?
HM: "Ces personnages ne sont véritablement terminés qu'une fois projetés à l'écran".
Pouvez-vous nous parler de vos prochains projets?
HM: "Je me suis promis de ne plus jamais dire si j'en ferais d'autres ou plus jamais" (ndrl: Miyazaki fait ici référence à sa déclaration après la sortie de Princesse Mononoke où il affirmait se retirer définitivement).
Accordez-vous autant d'attention au processus de diffusion de vos films qu'a leur réalisation?
HM: "Je ne m'en occupe absolument pas et laisse cela à mon producteur".
Que pensez vous des productions Walt Disney? Les coûts de vos films sont de plus en plus élevés..
HM: "La dernière production Disney fut Atlantis et c'était leur dernier dans la mesure où il n'y avait pas assez de spectateurs (rire). Quant à moi, les coûts augmentent sans cesse et je fait de l'équilibre comme un acrobate. Sur la préparation de mes deux derniers films, le coût a été dix fois plus élevé que pour Kiki, le service de livraison par exemple parce qu'ils sont plus détaillés et mon équipe mieux payée".
Yasuo Ôtsuka disait que les animés sont des oeuvres destinées au public japonais. Est-ce que la présence d'animateurs étrangers au sein du studio Ghibli amène un vent nouveau?
HM: "Non, cela ne change rien. Il y a un seul animateur étranger actuellement, un Italien. Auparavant il y avait David (David Encinas qui a travaillé sur Princesse Mononoke et Nos voisins les Yamada. Il était également l'assistant de Mr Ôtsuka lors de la Master class qui s'est tenue tout au long du festival). Pour que cela ait une influence notable, il faudrait qu'ils soient réalisateurs".
"Le voyage de Chihiro" a été un énorme succès au Japon (ndr: ce film a battu tous les records, s'octroyant même la première place devant Titanic avec plus de 10 millions de spectateurs). Vous attendiez-vous à cela?
HM: "Mon premier travail c'était sur Hols, fils du soleil il y a plus de trente ans. Le directeur de l'animation était Yasuo Ôtsuka, j'avais vingt-quatre ans et cela a duré trois ans. Je me suis donné beaucoup de mal pour ce film et j'étais persuadé qu'il allait changer le monde. En fait ce film s'est révélé être un échec commercial mais je n'ai pas pour autant été déçu. Il arrive que les spectateurs soient des imbéciles (rire). Depuis j'ai décidé que je ne serais jamais déçu ou content des scores d'un film".
La 3D est de plus en plus présente dans vos derniers films. Cette technique va-t-elle supplanter l'animation classique ou tout simplement l'aider?
HM: "Quand on a discuté avec mon équipe de cela, on a décidé d'utiliser à la fois les celluloïds et la 3D à condition que celle-ci ne se voit pas. Cependant, elle se voit par ce qu'on n'a pas su maîtriser cette technique comme il aurait fallu. Je pense que les dessins faits à la main ont plus de profondeur et d'épaisseur".
Quel fut pour vous le plus grosse difficulté de mise en scène dans Chihiro?
HM: "Sa durée ! Ce film aurait dû durer trois heures".
Ecrivez-vous vos rêves pour ensuite les exploiter dans vos films? Qui est l'interprète de la magnifique chanson du générique de fin?
HM: " Cela m'est arrivé très souvent mais j'ai arrêté car cela ne donnait rien de bien. La chanson est interprétée par une chanteuse inconnue qui m'avait envoyé une cassette pour un précédent film et que je n'avais pas utilisée. Je l'avais sur mon bureau et j'étais le seul à l'avoir écoutée. Je n'avais jamais pensé à l'inclure mais le film s'est rapproché de la chanson et c'est à la fin que j'ai décidé de l'inclure. Joe Hisaishi (compositeur attitré de Miyazaki) avait bien sûr décidé d'inclure une autre chanson"...
Pouvez-vous nous expliquer comment vous travaillez? Est-t-il vrai que vous n'écrivez pas de scénario?
HM: "Exact car ça ne servait jamais à rien. Je trouvais donc inutile de perdre du temps à écrire un scénario et de ne pas l'utiliser après. Je commence directement à dessiner le story-board. La production débute alors même que celui-ci n'en est encore qu'au tiers...
Questions à Hayao Miyazaki Miyazaki et la S-F
Miyazaki et la S-F (extrait d'interview). Trouvé dans MANGA HIHYOU TAIKEI vol.4 (première parution dans COMIC BOX, nov. 1982) (les commentaires du traducteur sont entre parenthèses, excepté les points de suspension).
Miyazaki : (...) J'ai lu beaucoup d'histoires dites de S-F, mais je ne les apprécie pas vraiment. Il y a de nombreux éléments, de la " (S-F) pure et dure " à la " sword and sorcery ", mais aucune ne me plaît tout à fait... J'apprécie davantage des fictions plus réalistes... Dans ma jeunesse, je lisais " SF magazine ", (...)
Interviewer : qu'aimez-vous parmi les histoires de S-F plus récentes ?
Miyazaki : connaissez-vous " NINGEN IJOU " (désolé, je ne connais pas le titre original) ? (...) Et celle dont je ne me souviens plus du titre... " YORU KITARU " (Nightfall, par Asimov), vous connaissez ? (...) C'est un roman assez bref mais cependant horrible, je pense que c'est une des plus grandes œuvres que j'ai lu.
Interviewer : et à propos de livres plus récents ?
Miyazaki : " CHIKYUUNO NAGAI GOGO " (hothouse, par Brian Aldiss) est assez intéressant. J'ai apprécié le monde végétal décrit et la qualité de la traduction. Mais, si la vie des plantes était intéressante, les personnages humains étaient moins bien développés. J'aime aussi " GEDO SENKI " (par Ursula LeGuin, je ne connais pas le titre original), bien que je ne sache pas s'il appartient ou pas au registre de la S-F, je l'aime beaucoup. Je ne me souviens pas combien de fois je l'ai lu. J'aime également " YUBIWA MONOGATARI " (conte de l'anneau). " Hornblower series " (...), est un bon roman (...). Pourquoi je ne fais pas désormais des films d'action ?
Couverture du magazine Comix Box d'octobre 1989 Pourquoi je ne fais pas désormais des films d'action (COMIC BOX, 10/89) HAYAO MIYAZAKI, DEUXIEME PARTIE DE L'INTERVIEW (la première partie est sans rapport avec l'animation). Première parution dans le magazine japonais COMIC BOX (octobre 1989. Première traduction par Atsushi Fukumoto (13 et 18 septembre 1991). Traduction remaniée par Sheng-Te Tsao (20 novembre 1991). Edité et adapté par Steven Feldman (23 et 27 novembre et 22 décembre 1991). " Note du traducteur " et remarques entre parenthèses sont des commentaires écrits par Shen-Te Tsao. Les remarques entre crochets ont écrites par Atsushi Fukumoto. Les ajouts faits par Steven Feldman sont trop longs pour être isolés (note importante : le kanji employé pour " film d'action " signifie littéralement " films d'action animés purement destinés au divertissement ").
Depuis Nausicaa de la Vallée du Vent, M. Miyazaki a souvent été comparé aux réalisateurs de films d'action en prises de vue réelles. Parallèlement, beaucoup de gens lui ont exprimé le plaisir que leur avaient apporté les films d'action qu'il a fait avant " Nausicaa ". De manière directe, je lui ai posé une question présente dans l'esprit de nombreux fans : " pourquoi ne faites-vous plus des films d'action du même genre ? " [1]
[Hayao Miyazaki] J'aime ces dessins animés idiots et pleins d'action qui font rire en les regardant. Mais le fait que je les aime bien ne veut pas dire que je suis capable d'en faire. Je voudrais voir si je peux ou pas réaliser un film sans aucune scène d'action. Mais des films comme TOTORO ou MAJO NO TAKKYUBIN (Kiki) sont faits parce qu'il existe une demande. Bien sûr, l'autre raison est qu'ils constituent ce que je voulais réaliser. A présent, j'ai quelques idées de films qui n'ont pas encore été exploitées... Je sens que je veux faire quelque chose qui ressemble à BUTA NO SENSHA [" le tank du cochon "] ou un film un peu naïf qui montrera mon côté déconcertant. Un bi-plane en chute libre, avec un seul missile, se battant pour sa fierté contre une gigantesque armada tout en connaissant sa folie - Ce serait un film à couper le souffle, le genre de film qui vous invite à dire : " ah ! c'était incroyable, je veux le voir encore ". Je comprend pourquoi le public adolescent - qui est à l'origine de l'anime boom - affirme que mes oeuvres plus anciennes procurent un plus grand plaisir. Je suis désolé d'ignorer ainsi le public. Mais cele ne signifie pas que ma vision a changé en vieillissant. Je ne suis pas encore cinquantenaire, mais je suis assez vieux pour ressentir certaines choses comme une personne âgée (sourire).
De plus, je me demande pourquoi il n'y pas davantage de jeunes réalisateurs qui percent et qui désirent faire de tels films de divertissement. La vérité est que je suis le plus heureux quand j'écrit à propos de stupides avions et tanks dans des magazines comme MODEL GRAPHIX [1]. Je brûle de reprendre ma série (sourire). Mais je sens que si ce n'est plus un hobby, j'arrêterai de le faire, même si je pense que ce genre de travail montre mieux mes capacités que des récits de jeune fille de 13 ans emmenageant à la ville. Je pourrais écrire des histoires entièrement moi-même, mais l'animation exige un énorme investissement humain. Je rêve donc parfois de faire un film " naïf " avec mon propre argent, une OAV avec laquelle je ne rentrerais même pas dans mes frais. J'aimerais faire un film qui ferait sourciller la censure. Ces idées me travaillent depuis longtemps, et j'ai toujours été désireux de faire des films du genre : " fonce ! mords-lui l'oeil ". J'ai même imaginé un EKONTE [2] et réfléchi aux scènes nécessaires... Si j'avais échoué dans une autre voie, j'aurais fait de tels films. Malheureusement, la chance me permet de faire d'autres types de films pour lesquels " je reçois à chaque fois encore plus de prestigieuses récompenses " (sourire). De plus, je dois dessiner NAUSICAA et je veux continuer dans MODEL GRAPHIX - j'ai atteint ainsi le maximum de mes capacités.
Les films d'animation ne sont pas aussi aisés à faire que des films en prises de vue réelles. Je ne pourrais travailler comme John Ford, qui a fait plus de 100 films, parfois sans même participer à ses propres oeuvres. Imaginez que je travaille dans ce studio pendant deux ou trois heures, puis que j'aille dans un autre studio pour diriger une scène du genre " là, le char avance " et qu'enfin je rentre chez moi pour dessiner NAUSICAA - c'est tout simplement impossible. Je ne peux et veux pas travailler ainsi. L'animation, dans son principe même, ne peut être créée avec de telles méthodes et si c'était le cas, nous serions finis.
A présent, nous ne pouvons éviter la question de " motivation " quant aux films d'action. Par exemple, détruire un énorme immeuble est une forme de motivation. Une telle motivation est comme la réaction de supprimer des impulsions ou une opposition menant à la destruction. Je ne sens pas que j'ai à faire des films qui sont constructifs. Les films de destruction me plaisent parce qu'il est naturel de détruire une énorme chose. Mais à côté il y a les contraintes de vivre dans une société qui dissimule ses émotions, j'espère mettre ainsi en lumière les rêves, désirs et espoirs. (Note du traducteur : je pense que Miyazaki fait référence au désir des films de destruction dans une société qui réprime les actions impulsives).
Un film sans ces desseins devient un simple festival de coups de poings. " Je survivrai même si le monde entier meurt ", " Je dois l'avoir ", ou " je m'emparerai de toutes les richesses " -- Eludant la question des idéologies ou du bien fondé des ses idées, toutes ces choses trouvent leurs racines dans notre désir d'avoir le meilleur pour nous-mêmes, comme un éléphant de mer. Mais ce sont des finalités typiques d'un film d'action - faits pour vous rendre heureux d'être né et en vie - sans regarder si l'échelle est large ou pas. En cette époque, nous ne doutons pas que nous ne pouvons nous conduire de telle manière, n'est-ce pas ? La base d'un film d'action - comme " je veux être grand, riche et avoir une fille " -- s'écroule ainsi. Nous ne pouvons plus naïvement croire en ces choses.
Dans un film d'action, on emploie une structure narrative qui contient au départ de nombreux développements scénaristiques, mais, à un certain point du film, l'action devient le principal moteur de l'histoire. CAGLIOSTRO, DOUBUTSU TAKARAJIMA et CONAN sont construits ainsi. La principale difficulté en faisant ce genre de films est d'anticiper le moment où le public veut voir un avion s'écraser. Si, finalement, de cet effort résulte une histoire convaincante, les scènes d'action seront satisfaisantes. Je peux faire des scènes où on tombe, se blesse, utilise des armes, se bat à mains nues, court sur l'aile d'un avion, plonge dans l'eau. J'ai un tas d'idées de ce genre. Mais ce ne serait pas divertissant s'il n'y avait que de l'action, sans faire d'efforts pour l'intégrer au récit.
Aujourd'hui, les OAV négligent le fait d'introduire correctement l'action et ne sont par conséquent pas vraiment distrayantes. Pour schématiser, disons qu'il y a souvent un dieu de l'obscurité et un dieu de la lumière, et quand la lumière est envahie par les ténèbres, un guerrier lumineux apparaît (sourire). Ces OAV sont-elles convaincantes ? Non, bien sûr. La première raison de leur médiocrité est que nous n'avons pas une religion basée sur la lumière et les ténèbres, n'est-ce pas ? Ces anime utilisent cette dichotomie par commodité. Personne n'y croit. Pas même ceux qui font ces OAV ? ou alors croient-ils en le dieu Ahura Mazda du Zoroastrianisme ? Non, bien entendu. Un autre exemple serait " Star Wars ". C'est après tout une saga familiale. Une histoire à propos de l'affirmation de soi et dans laquelle l'ennemi est le père, l'aide vient du grand-père, la princesse est la petite soeur, etc. ; ce n'est qu'une version simplifiée des théories de Jung. Elle masque l'action interstellaire avec l'histoire d'un enfant qui gagne son indépendance en combattant ses parents. De telles choses ne sont plus très convaincantes maintenant. (Note du traducteur : je pense que Miyazaki fait référence au fait qu'aujourd'hui ils est très difficile pour les gens de gagner leur autonomie, donc un tel thème manque de pertinence).
Une autre façon pratique d'éviter de véritables conflits est d'idéaliser l'ennemi sous la forme d'un ordinateur ou d'une machine. Vous avez les moyens d'agir si votre adversaire est une machine. Je comprends très bien pourquoi LUPIN III est en décalage avec cette époque. On m'a demandé pourquoi je ne prévois pas d'en faire un autre. Je n'en ai pas l'intention non pas parce que c'est une dure entreprise, mais parce que c'est un travail de longue haleine pour le réaliser de manière classique. Le genre de films que je veux réellement faire est ceux où je peux créer librement des scènes d'action. J'ai toutes sortes d'idées que je pense pouvoir appliquer dans des comédies ou des stupides films de guerre. Mais je n'ai pas la moindre idée sur la manière de réaliser la première moitié du film (Note du traducteur : il fait référence à la partie du film qui amènera les scènes d'action). Je pourrais supprimer cette partie et aller droit au but, mais je ne dois pas le faire. J'ai un projet auquel je réfléchis depuis longtemps, son nom est ANKAA (Anchor). Ce serait difficile de le faire, mais je sens qu'il existe une véritable opportunité.
Quand j'ai parlé avec TAKEDA Tetsuya [3] récemment, nous avons conclu que la principale difficulté d'un film se passant à Tokyo est de décider qui serait le méchant. Avec les OAV, c'est facile si nous avons quelque chose qui se pose en ennemi au monde entier, tel que l'Afghanistan, ou quelqu'un qui symbolise le mal, comme Deng Hsiao Ping (Note du traducteur : cette interview est probablement réalisée peu après le printemps de Pékin).
Je pourrais faire des films d'action avec toutes sortes d'ordinateurs ésotériques et de soldats, mais cela resterait un hobby. La plupart des gens diraient que le divertissement doit être un plaisir en dehors de l'analyse critique, mais pourtant le divertissement, comme tout le reste est contigent d'une somme de théories interdépendantes qui ensemble créent un système logique auquel il faut adhérer si quelque chose vaut la peine d'être produit. Pour faire en sorte que le film est un plaisir sans théoriser, les problèmes initiaux de motivation et d'identification --- pour rendre le côté sympathique le méchant ou l'hésitation du héros à dégainer - doivent être résolus, ou l'action qui en résulte devient sans intérêt.
Mais les problèmes du mal auxquels nous faisons face aujourd'hui proviennent de notre vie quotidienne, de la somme de la pollution de la terre et des bêtises que commet le Japon. Certaines OAV et films font des méchants des chefs secrets - des hommes âgés couverts de rides et qui tirent les ficelles dans la politique japonaise - mais ceci n'est qu'une fantaisie. Dans la réalité, le Japon est gouverné par des gens très timides et prudents. Sans fondement, ils seront trahis par leurs fidèles - leurs secrétaires s'occupent ainsi à récolter autant d'argent que possible - pendant qu'ils courent tout droit au suicide. Cette vision est tout à fait faussée et manque son but. La chose qui nous confond et nous heurte le plus est que nous ne pouvons nous identifier à ces histoires - c'est la racine du problème et le plus intangible. *
Mais en abordant ce problème de front, nous ne produisons pas forcément un divertissement à succès, n'est-ce pas ? J'ai essayé d'enfoncer ces racines, mais beaucoup de jeunes affirment tout de même aimer davantage les films d'action. Je ne désire pas consacrer de temps aux envies ces jeunes gens. Comment user efficacement de mon énergie pour ma satisfaction personnelle - ou plutôt, comment utiliser cette énergie d'une façon qui satisfaira le public visé ? La chose la plus importante est que l'animation japonaise ne devrait pas faire est de définir les fans comme son public exclusif et de produire des films en fonction de celui-ci. Comment faire des films qui gagneront les faveurs de néophytes ? Nous devons tendre vers plus d'universalité en réalisant des films. L'argent ne peut acheter la créativité
L'argent ne peut acheter la créativité " (PACIFIC FRIEND, janvier 1991) L'ARGENT NE PEUT ACHETER LA CREATIVITE : HAYAO MIYAZAKI [par un interviewer/éditeur inconnu] PREMIERE PARUTION dans PACIFIC FRIEND en janvier 1991. POSTE à Anime-1/RAA par Robert Gutierrez le 29 juin 1991. EDITE par Steven Feldman le 19 mars 1992. L'article suivant est de PACIFIC FRIEND (un journal japonais en américain publié par Jiji Gaho Sha, Inc.) vol. 18, num. 9 (janvier 1991), pages 7-8 : L'ARGENT NE PEUT ACHETER LA CREATIVITE : HAYAO MIYAZAKI [interviewer inconnu]
[Hayao Miyazaki] Nous vivons à une époque où il est moins cher d'acheter les droits d'un film que de le faire. Plutôt que de faire face à tous les problèmes de la réalisation, il semble souvent plus aisé de les acheter à l'étranger. En fait, les producteurs japonais ont le sentiment qu'ils peuvent acheter ce qu'ils veulent aussi facilement qu'à un distributeur automatique.
Des gens viennent souvent me voir et me disent sans détour : "Faites pour nous un film comme il vous conviendra. Votre prix sera le nôtre ". Je pense qu'actuellement le Japon traverse une époque peu propice à la créativité. Les esprits aponais d'aujourd'hui ne reposent sur rien. Ils sont même aliénés de leur propre environnement naturel et spirituelle. Mais cela signifie-t-il que leur sens moderne de l'individualisme est à présent assez fort pour les mener à l'indépendance, à des initiatives personnelles dans leur vie comme le font Américains et Européens ? Je ne le pense pas. Le peuple japonais reste uni en acceptant la mauvaise condition sociale de certains. Ils ne semblent pas être capable de faire face aux problèmes les touchant. En de telles circonstances, nous devons pas nous attendre à la création d'oeuvres de grande valeur au niveau artistique.
Je ne blâme personne pour cette situation. Je l'envisage plutôt comme un problème dont je dois moi-même m'occuper... Donc je continue, convaincu que même dans cette situation, il y a des films à réaliser. La perception de la nature chez les enfants est presque instinctive à notre époque. Pouvons nous honnêtement faire des films convaincants en les exhortant simplement à entretenir quelque espoir ? Donc, je réfléchis beaucoup, mais je ne fais pas de films juste pour attirer la situation sur des problèmes en particulier comme la protection de l'environnement. La relation étroite entre la nature et l'humanité ainsi que leurs liens spirituels, dont nous devrions tous être conscients, sans prêter attention au fait que nous faisons des films ou pas. Dans mes films pour enfants, je veux avant tout exprimer les messages suivant : " le monde est profond, foisonnant et magnifique " et " vous autres enfants avez de la chance d'être nés dans ce monde "... Bien que le monde regorge de problèmes apparemment insolubles (comme l'explosion démographique ou la destruction de l'environnement) qui rendent difficiles de garder quelque espoir, il est tout de même merveilleux de vivre.
C'est plus facile à dire qu'à traduire en actes. Les adultes plus que les enfants voient leurs espoirs se détruire. Faire des films inclut aussi de mener un combat contre soi-même. Mais, et c'est bien dommage, les autres artistes réalisant des dessins animés semblent penser différemment. Pour eux, "C'est la tendance... Cela a tous les ingrédient pour être un succès... ". Je ne peux m'engager dans une tâche si inhumaine, à savoir faire des films dans ce seul dessein. Produire un dessin animé valable exige environ entre une année et une année et demi de travail, et durant cette période notre vie privée passe au second plan. Bien sûr, nous pourrions faire des desssins animés tout en étant encore en vacances, mais cela s'en ressentirait dans la qualité du travail.
Les oeuvres d'art sont créées par ceux qui se préparent à atteindre leurs limites. Et c'est notre seule volonté. C'est pourquoi la diffusion mondiale de l'animation japonaise via la télévision n'est pas spécialement une source de fierté pour nous. C'est juste qu'aucun autre pays n'ait eu l'idée de faire des dessins animés " brutaux " et " provocateurs " comme ceux réalisés au Japon. Si nous faisons un DA que les petits Japonais apprécient, et que ce DA est aussi reconnu et accepté à l'étranger, nous pouvons alors dire que ses images ont atteint une dimension universelle. Nous sommes contents d'entendre que les animateurs coréens qui ont vu TOTORO l'ont apprécié. Ils ont dit que la Corée du Sud a elle aussi des créatures comme celles du film. En fait, ils se demandent si nous nous sommes inspirés du folklore coréen pour les créer.
Il y a deux autres choses qu'il nous faut garder à l'esprit en réalisant des films. Tout d'abord, dans le cas de films d'actions, nous contrôlons la destinée du personnage principal -même sa naissance et sa mort. Et si nous prenons des décisions arbitraires pour attirer le public, nous devenons finalement une sorte de dieu. Cela peut conduire au désastre pour un réalisateur.
Secundo, puisqu'il y a tant de choses dans le monde qui ne répondent pas à l'attente des gens, ils veulent voir leurs héros à l'écran mener une vie libre de toute entrave, intellectuelle ou matérielle. Aujourd'hui, quel que soit le " moyen " qu'on puisse envisager, le problème ne peut être résolu par une seule personne. On peut se demander pourquoi les gens n'abordent pas ensemble les problèmes dans leur globalité. Mais nous savons que de nos jours, s'attaquer simultanément à plusieurs problèmes est souvent moins efficace que de les prendre séparément. En certaines circonstances, l'urgence de créer un monde où les efforts humains et la force physique s'associent pour résoudre la situation est sûrement incompréhensible pour beaucoup. Au moins, cela montre que nous sentons quand nous faisons du divertisssement. Dans le monde réel, il est plus facile de trouver des choses décourageantes que encourageantes. Nous aimerions trouver de bonnes choses. " Nous faisons seulement ce qui nous semble naturel de faire. Je ne sais pas réellement pourquoi mon travail est si regardé. Mais il n'est pas assuré que je continue d'apprécier les louanges qu'on me faits. De nombreuses fois, j'ai placé mes espoirs en de jeunes réalisateurs promis à une belle carrière, et j'ai même essayé de les soutenir - mais sans résultat. J'ai personnellement l'intention de continuer à faire des films. Je ne sais combien de temps je pourrai continuer, ou le potentiel de la prochaine génération. A propos de Nausicaa
Un extrait d'une interview que Miyazaki a donné pour la promotion du film de Nausicaä (paru dans Young Magazine, 24 fév. 1984. Deuxième parution dans Archives of studio Ghibli vol. 1, 1996, (c) Ghibli).
[Hayao Miyazaki] Nausicaä, le personnage principal, est une femme. Y a-t-il une raison particulière dans ce choix ? Miyazaki - Eh bien, les hommes n'ont pas la cote ces temps-ci. Quand un homme tire avec une arme, on a l'impression qu'il tire juste parce que c'est son boulot et qu'il n'a pas d'autre alternative. Ca manque d'impact. Quand une femme emploie une arme, c'est tout à fait autre chose. Quand j'ai vu un film comme Gloria, je le ressens vraiment, ce n'est pas une fille, mais une femme d'âge mûr (Obasan) qui tient une arme comme une assiette. C'est vraiment stimulant. L'histoire d'un homme gagnant son indépendance est toujours dite de telle sorte (par des évenements) qu'il batte un opposant dans une bataille ou force son chemin malgré de difficiles situations.
Mais dans le cas d'une femme, il faut ressentir, accepter ou aimer une telle action... Nausicaa n'est pas un personnage qui vient à bout d'un ennemi, mais qui le comprend ou l'accepte comme il est. Elle ne pense même pasà venger ses parents. Elle a une autre approche du monde. Un tel personnage est plus féminin que masculin. Si elle était un homme, son comportement s'avérerait trop étrange. Je pense que les hommes comptent plus sur les mots. Je crois que les femmes abordent les problèmes liés à l'environnement davantage par leurs sentiments. Discussion entre Miyazaki et le romancier Ryu Murakami
Un extrait d'une discussion entre Miyazaki et le romancier Ryu Murakami.
Miyazaki (M) : J'ai renoncé à faire des happy end au sens propre du terme depuis longtemps. Je ne peux m'aventurer plus loin qu'un personnage venant à bout d'un seul problème. De nombreux événement se dérouleront après le film, mais ce personnage réussira probablement - Je pense que c'est aussi loin que je puisse aller. D'un point de vue de réalisateur, il serait plus facile si je pouvais faire un film dans lequel " chacun devient heureux parce que le méchant a perdu ".
Ryu Murakami ( R ) : oui, c'est sans doute plus facile -rires-. Beaucoup de problèmes n'ont pas été résolus, mais quelque chose s'est terminé pour l'instant et probablement quelque chose neuf va débuter. Encore, cette personne réussira à poursuivre sa route de quelque façon - ces personnages qui nous communiquent ce sentiment sont tous des femmes, n'est-ce pas ? -rires-
M : oui. -rires-
R : et c'est un peu douloureux, puisque (le portrait de telles filles dans les films de Miyazaki) ont une telle réalité (je pense qu'il est un peu désolé comme tous les personnages intéressants sont des féminins, et cela montre le peu de considération dont jouissent aujourd'hui la gent masculine -Ryo)
M : Oui. Quand je réfléchis à un homme pour le rôle principal, cela devient ardu. Le problème n'est pas simple. Je veux dire, si c'est un histoire du style " tout sera beau une fois que nous l'aurons battu ", un homme est la meilleure solution. Mais, si nous essayons de faire un film d'aventure avec un héros masculin, nous n'avons d'autre choix que de faire " Indiana Jones ". Avec un Nazi, ou quelqu'un d'autre qui est un mauvais aux yeux de n'importe qui.
R : et d'établir le temps et la situation autour de ces choix.
M : nous ne pouvons faire autrement. Il est aisé de dépeindre un garçon qui veut faire une telle chose (être un héros dans un film d'aventure ?). Il a plus qu'assez d'énergie, mais il ne sait comment ni où l'employer, ou même s'il utilise son énergie, il peut s'en sortir seulement après maintes péripéties -Je suis capable de faire une telle histoire. Mais les gens me demandent toujours : " pourquoi faites-vous toujours des films avec des personnages féminins ? ".
R : Moi-même je suis troublé quand je pense à ce qu'il en serait si Nausicaa était un homme -rires-. Dans la scène où elle est sur les antennes dorées des ohmus, si elle avait été un homme, on aurait dit : " est-il stupide ? " -grands éclats de rire-. Mais Nausicaa est si attachante, donc...
M : eh bien, si cela est ainsi... -grands éclats de rire-. Mais en faisant de l'animation, je me sens toujours comme un menteur. Par exemple, pouvons nous décrire un personnage fort avec une fille ? Ce que nous faisons est dans un sens un spectacle après tout.
R : Mais si elle est adorable, c'est bien assez, n'est-ce pas ? -rires-.
M : c'est compliqué. Elles deviennent immédiatement les cibles du Rokikon Gokko (jouet pour les hommes atteints du Lolita Complex). Dans un sens, si nous voulons décrire quelqu'un qui est volontaire à nos yeux, nous n'avons d'autre choix que de la rendre aussi attachante que possible. Mais maintenant, il y a trop de gens qui décrivent éhontément (de telles héroïnes) comme s'ils les considéraient comme des objets, et les choses vont en s'aggravant. Comme nous parlons des droits de l'homme au niveau des femmes, je ne veux pas pousser l'analyse plus loin, mais...
[au début de la discussion, les deux hommes ont parlé de Tsutomu Miyazaki, un otaku obsédé par l'animation (c'est ainsi que les médias l'ont qualifié) qui a tué plusieurs petites filles en 1991] (première parution dans " Animage ", novembre 1988). Un autre extrait d'interview
Tiré de " Kikan Ichiko ", 20 octobre 1994). Traduit par Ryo * pour usage personnel seulement *. Le traducteur est seul responsable des erreurs de traduction ou de colmpréhension qui en résultent. () sont aojutées par le traducteur pour faciliter la compréhension du texte. Ce n'est en aucun cas une traduction précise mot pour mot. Le traducteur n'a tout simplement pas la capacité, la patience ou le dictionnaire pour cela (excusez-moi).
- Pourquoi choisissez-vous toujours une fille comme personnage principal ?
[Hayao Miyazaki] ce choix n'appartient pas à un schéma établi. Si on compare un garçon et une fille dans le feu de l'action, je crois que la fille a plus d'élégance. Je ne ressens rien de spécial en voyant un homme marcher à grandes emjambées, mais si une fille marche avec élégance, je me dis que c'est agréable à voir. Peut-être est-ce parce que je suis un homme, et les femmes pensent probablement qu'il est agréable d'observer un homme dans la même situation. Au début, je pensais " ce n'est plus l'époque des hommes. Ce n'est plus l'époque de Taigimeibun (justification, justice, ou à une bonne grande cause comme " pour la race humaine " -ryo).
Mais après dix ans, je deviens fatigué de répéter cela. Je dis juste " parce que j'aime les femmes ". C'est plus compréhensible comme argument.
Interview de Miyazaki à propos de la fin du manga Nausicaa
[Attention: cette interview révèle beaucoup d'informations sur la fin du manga, vous pourriez ne pas avoir envie de les connaitre.]
[...] Qu'est-ce que l'espoir ? Peut-être est-ce de souffrir avec les personnes auquelles vous tenez ?
La mer de la décomposition dans "Nausicaa de la vallée du vent" est un système que les humains ont mis au point un million d'années auparavant pour purifier l'environnement. Mais même ceux qui l'ont créé ne peuvent pas prédire de quelle manière elle évoluera. Peu importe le nombre d'excellents ecologistes qui travaillerons ensemble, vous ne pouvez le prédire.
Par exemple, nous pouvons planter un camphrier à coté du studio. Mais nous ne savons pas ce qui arrivera à cet arbre. Nous ne pouvons pas prévoir ce qu'il apportera aux humains; va-t-il donner à quelqu'un l'opportunité de tomber amoureux, ou va-t-il tomber et détruire ce bâtiment. Il est arrogant de penser que nous pouvons le prédire. Les humains peuvent préparer les choses, commencer, mais nous ne pouvons pas déterminer ce qui restera là, ou si un dieu restera là ou non.[1.] Je pense que c'est la meilleure façon de voir ce monde.
Les choses prévues et celles qui arrivent vraiment sont différentes. Ainsi, la mer de la décomposition débuta comme un ecosystème artificiel, mais elle changea en quelque chose de différent au fur et à mesure du temps. Cela correspond mieux à mes sentiments de penser que même un forêt créée artificiellement peut agir comme une forêt, et devenir un ecosystème compliqué, au delà de notre imagination, que de penser que ca ne sert à rien de de s'en préocuper, puisque ce n'est pas une forêt naturelle.
L'idée que la nature soit gentille et qu'elle ait créé la mer de la décomposition pour soigner l'environnement que les humains avaient contaminé, ou qu'elle ait fait quoi que ce soit pour les humains est fausse. S'attacher à une vue aussi naïve de la Terre est problématique. J'en suis venu à penser de cette façon en écrivant Nausicaa.
J'avais le sentiment que cela finirait ainsi, depuis le début. Certaines personnes ont dit que ce n'est pas bon, puisqu'une telle fin trahirait le lecteur. Mais cela ne va pas. Il ne peut y avoir un ecosystème avec un but, je ne voulais pas aller dans cette direction, mais j'ai du. Et même si Nausicaa connait la réalité à propos de la mer de la décomposition, il est presque impossible de l'expliquer aux gens avec des mots. Si le lecteur peut voir ce qu'elle a accompli, et peut sentir ce qu'elle va faire à partir de là, c'est suffisant. Nous pouvons parler d'espoir si facilement.
Mais alors, qu'est-ce que l'espoir ? Surmonter des difficultés avec les personnes auxquelles vous tenez, peut-être que c'est ca l'espoir aussi. Nous n'avons pas d'autre choix que de penser que vivre signifie une telle chose. J'ai fini par penser ainsi.
Je ne sais pas ce qu'il se serait passé si j'avais planté de l'herbe et épuré l'eau. Est-ce que ca mènera au futur ? Non, surement pas. Mais, si je ne fait rien, rien ne se passera. Et même si il m'arrive des problèmes dans la vie (en ayant fait quelquechose), j'ai décidé de les apprécier.
Mais à la minute ou nous nous disons cela, nous ne savons pas ce qui va se passer, nous ne savons pas que nous n'avons pas d'autre choix que de le laisser se passer, il arrive alors un nouveau problème. Je peux voir ce qu'il va se passer. La phrase dans la chanson "Saigo no News" (la dernière nouvelle) par Yousui Inoue; "Les humains débordent de la Terre, et ils tombent au bout de la mer"-- c'est cela. Que nous y pensions ou pas, c'est inscrit dans notre conscience à tous.
De nos jours, si nous divisons toutes les terres, en incluant les déserts et les régions polaires, par la population, nous avons 170 mêtres carré par (capita). Dans 50 ans, quand nous seront 10 billions, ca sera 120 mêtres carré. Quand nous dépassrons 50 billions, il n'y aura plus d'autres créatures que les humains. Asimov, l'écrivain de science fiction, avait calculé que 50 billions est la limite imposée par les matériaux organiques fabriqués par photosynthèse sur Terre. Que devons nous faire pour vivre ? Nous n'avons pas d'autres choix que d'avoir beaucoup d'enfants.
[...]
Nous n'avons pas d'autres choix que de penser que les hommes peuvent aussi bien devenir 10 billions que 200 millions dans le futur, et c'est humain. Comme il y a eu beaucoup d'exemples au cours de l'histoire, il y aura de nombreuses tragédies dans le futur. Alors, que devons nous faire pour vivre ? Nous n'avons pas d'autres choix que d'avoir beaucoup d'enfants. Nous n'avons pas d'autres choix que de penser que vivre signifie vivre géné par nos enfants, vivre en souffrant de maladies. Ainsi, ces temps-ci, quand je suis invité à un mariage, je dis juste : "Ayez beaucoup d'enfants.". Cela ne sert à rien de penser au futur. Je ne veux pas dire inutile, mais, les humains sont de tels êtres. Ainsi si vous me demandez ce qui est le mieux, c'est d'avoir des enfants, et d'être géné par ceux-ci.
Si nous disons que rien ne marche, alors rien ne marche. Mais vous devrez mourir un jour, ainsi, si vous dîtes que ca ne sert à rien, rien ne sert. Mais les humains ont arrêté de s'éteindre. C'est sûr.
Il a été dit que les dinosaures ont disparus des suites de l'évolution, mais l'histoire a changé récemment. Ce n'est pas Nemesis qui leur infligea une punition qu'ils avaient méritée, mais c'est une énorme météorite qui s'est écrasée sur Terre, et apporta un climat semblable à un hiver nucléaire, qui tua les dinosaures. Ou bien, une autre théorie dit que ce n'est pas une météorite, mais la Terre qui traversa une époque de grands mouvements crystallin. Des volcans entrèrent en éruption et 70% des espèces périrent, renouvelant l'écosystème. La Terre n'est pas gentille. Si cela n'était pas arrivé, les dinosaurs auraient continué de prospérer. Ils ont péris à cause de la Terre et non à cause d'eux-mêmes.
A la fin du 20e siècle, c'est devenu la théorie générale. Cela veux dire que les humains ont décidé de vivre, même si nous continuons de nous étendre sans limites et de produire de la polution.
Q: D'ou provient le nom "Nausicaa" ?
Le nom Nausicaa vient de celui d'une princesse Phénicienne dans l'Odyssée. Nausicaa etait "une belle et étrange fille, vive... Elle prenait plaisir à observer la nature et possédait une personnalité particulièrement sensible". Elle sauva Ulysse quand il s'échoua sur les terres couvert de sang puis soigna ses blessures. Une autre inspiration pour la Nausicaa de Miyazaki fut la "Princesse Qui Aimait les Insectes". C'est un vieux conte japonais sur une noble fille qui était considérée comme une excentrique parce qu'elle aimait observer les insectes.
Q: Pourquoi existe il deux orthographes du nom "Nausicaa" ?
Le dernier "a" de Nausicaa devrait être écrit "ä" (a-tréma). Nausicaa vient de la version anglicisé du nom grecque, Nausicaa dans l'Odyssée d'Homere. Le a-tréma ne fait pas partie de l'ancien alphabet grecque. Plutôt, il sert à indiquer une accentuation de la prononciation dans les langues romanes. Malheureusement, il est difficile d'écrire un a-tréma sur certains ordinateurs et souvent, il ne peut pas être transmis correctement via courrier électronique, aussi, généralement un "a" normal est utilisé à sa place.
Q: Comment dois je prononcer "Nausicaa" ?
En japonais, c'est [Na u shi ka]. La prononciation la plus correcte pour Nausicaa est [Nau-sik'a-a (le dernier [a] étant prononcé distinctement.
Q: Que signifie Ohmu ?
Les kanji (caractères chinois) utilisés pour Ohmu sont "Roi" et "Insecte", donc cela signifie "Roi Insecte" ou "Roi des Insectes". Lire ces kanji "Ohmu" est quelque peu étrange. Selon Miyazaki, le son "Ohmu" venait de "Oh Mushi" (roi insecte), "Ohkii Mushi" (grand insecte), "Sando Uomu" (prononciation japonaise de "Sand Worm" ("Vers de sable" dans "Dune"), "Aum" dans les croyances Bouddhistes (non, il ne s'est pas inspiré du culte de Aum Shinrikyo), et d'autres choses encore.
Q: Que signifie Mehve ?
"Mehve" est un mot allemand, "Moewe", qui signifie "mouette" en français.
Q: Quel studio réalisa "Nausicaa" ?
Ce film ayant été réalisé avant la création de Ghibli, et comme Miyazaki ne travaillait pas dans un studio d'animation à cet époque (1983-84), le studio nommé "Topcraft" fut choisi comme une base pour la production de "Nausicaa". Topcraft était dirigé par Toru HARA, un vieil ami de Miyazaki et de Takahata. Hara, plus tard, devint le président du Studio Ghibli (il quitta Ghibli en 1991). Comme beaucoup d'animateurs qui voulait rejoindre le projet (ils étaient nombreux) participèrent à la production, l'équipe de "Nausicaa" est un impressionnant " who's who " de l'animation japonaise.
Avant qu'ils fassent "Nausicaa", Topcrat anima plusieurs films d'animation produits par Rankin-Bass tel " Hobbit " (" Le hobbit ") and " Last Unicorn " (" La dernière licorne "). Pour en savoir d'avantage sur Topcraft, allez sur la page de Marc Hairston.
Q: Y a t'il des allusions religieuses dans la scène de la résurrection ?
Bien que quelque personne voient dans cette scène une image religieuse, Miyazaki lui-même n'avait pas l'intention d'insinuer cela. En fait, il se reprocha d'avoir donné au film une fin qui semble "religieuse", et nota le film 65% seulement à cause de cela.
Miyazaki a une forte aversion envers les religions établies. Il dit une fois qu'il ne voulait pas expliquer le monde par un dieu. C'est peut être du à son passé marxiste. Toutefois, il semble s'être " ouvert " un peu plus aux religions ou à la spiritualité maintenant, principalement parce que l'écriture du manga "Nausicaa" l'amena à réflechir sur des questions philosophiques tel que " Qu'est ce que la vie? ". Cependant, il n'appartient pas à une quelconque secte ou religion.
Q. Pourquoi la couleur de la robe de Nausicaa change du rose au bleue ?
Elle fut trempé par du sang d'Ohmu (qui est bleu) quand elle tenta d'empêcher le bébé Ohmu de rentrer dans le lac acide.
Q: Existe il un modèle de la tapisserie du générique du film ?
Oui. Miyazaki a expliqué qu'elle était inspiré par les Tapisseries de Bayeux et d'autres images qu'il vit dans des livres sur l'histoire du monde.
Q: Qui double Nausicaa ?
Sumi SHIMAMOTO. Pour beaucoup d'admirateurs de Miyazaki, elle est la voix des héroïnes de Miyazaki. Elle doubla Clarisse dans " Lupin III: Le château de Cagliostro ", et Maki dans "Farewell Beloved Lupin". Elle joua également la mère de Satsuki dans " Mon voisin Totoro ". Pour en savoir davantage sur elle, visitez la page de Hitoshi Doi sur les Seiyuu (doubleurs).
Q: J'ai entendu dire qu'il existe un doublage non japonais de Nausicaa. Est-ce vrai ?
Oui. Mais les seuls versions qui existent aujourd'hui (2/98) sont les horriblement mutilés " Warriors of the Wind " (" Les guerriers du vent ") de New World Pictures et " La princesse des étoiles " (version française de " Les guerriers du vent "). C'est plutôt difficile de se les procurer de nos jours, mais, s'il vous plaît, oubliez les si vous les voyez. Disney va sortir une version avec un nouveau doublage normalement sans coupure, mais nous ne savons pas quand elle sera disponible. Pour plus d'informations, allez à la page disponibilité en vidéo.
Q: Quel est le problème avec " Warriors of the Wind " et " La princesse des étoiles " ?
New World Pictures pensa que Nausicaa pouvait être vendu seulement en tant que film d'action pour enfants, ainsi, ils coupèrent environ un quart du film (les scenes qu'ils jugèrent " sans action ") et embrouillèrent l'histoire en même temps. Nausicaa devint " la princesse Zandra ". Les doubleurs (incluant June Foray, la voix de " Rocky l'écureuil volant ") dirent, plus tard, qu'on ne leur avait jamais expliqué ce que l'histoire racontait et donc le jeu d'acteur fut inférieur au standard du doublage. Miyazaki fut horrifié quand il découvrit ce qu'ils avaient fait à son film, et maintenant Ghibli demande à tout le monde d'oublier que cette version a existé. Heureusement, les droits vidéo de New World Video sur Nausicaa ont expiré en 1995.
Q: J'ai entendu dire qu'il y a des coupures faites sur " Warriors of the Wind " (" La princesse des étoiles " en version française) pour cacher que Nausicaa est à moitié nue. Est-ce vrai ?
C'est une sale rumeur qui ne disparaîtra pas de sitôt. Même dans un récent article de Reuters, elle était nommé " une héroïne à moitié nue sur un planeur " @_@; Nausicaa porte un pantalon. Ce n'est pas une minijupe qu'elle porte. C'est son manteau. Remarquez que les hommes dans la vallée sont vêtus comme elle. Et ils ne sont pas écossais. ^_^
Q: Existe il une version sous-titré officielle de "Nausicaa" ?
Oui. Avec l'expiration des droits pour "Warriors of the Wind", Ghibli a produit une nouvelle version sous-titré en anglais de " Nausicaa ". Cette version fut montrée pour la première fois à Londres le 30 Juillet 1995 lors d'une projection spéciale pendant le festival "Building Bridges". Les gens souhaitèrent une large distribution de cette version dans le Royaume-Uni et les US, mais comme Disney a acquis les droits mondiaux de distribution pour " Nausicaa ", nous ne savons pas si cette version sera commercialisée.
Q: Est-ce une adaptation d'un manga ?
Oui. C'est l'adaptation du manga de Miyazaki, "Kaze no Tani no Nausicaa". Il y a 7 volumes au total, et le film couvres a peu prés les deux premiers volumes.
Il commença à publier le manga "Nausicaa" dans le magazine d'animation "Animage" en 1982. Au début, Miyazaki ne voulait pas adapter "Nausicaa" en film d'animation, parce qu'il dessinait ce manga pour exprimer quelque chose qu'il ne pouvait pas raconter par l'animation, et aussi parce que le manga n'était encore qu'à ses début. Pour ses raisons, l'histoire du film fut considérablement changée de celle du manga.
Pour en savoir davantage sur le manga, visitez la page du manga Nausicaa.
Q: Est-ce que le manga "Nausicaa" est different de l'anime "Nausicaa" ?
Oui. Il est très différent, et très long. Il fallut à Miyazaki 13 ans pour finir le manga, bien qu'il mit de coté le manga plusieurs fois pour réaliser des films. Un nombre considérable de choses se produisent après les événements racontés dans le film. Même la partie mise en image dans le film est beaucoup plus compliquée dans le manga.
Dans le manga, deux superpuissances se font la guerre, Torumekia et l'empire Dorok. Nausicaa faisait partie des forces d'invasion de Kushana, entant que chef de la Vallée, en respect des vieux traité entre Torumekia et la Vallée (donc, Torumekia était essentiellement un allié, et non un ennemi). La majeure partie de l'histoire se déroule dans les terres Dorok. Les Doroks sont ceux qui essayèrent de provoquer la ruée des Oomus pour détruire l'armée de Kushana dans le but de défendre leur terres de l'invasion. Nausicaa ne meurt même pas lors de cet événement.
Dans le manga, il n'y a pas de dichotomies aussi simple que la Vallée contre Torumekia, le bien contre le mal, ou la Nature contre l'homme. Bien des personnages, tel Kushana, Ghil, et le Dieu guerrier ont des destins et des rôles très diffèrent de ceux dans le film. Et, certainement, la fin vous surprendra et vous fera réfléchir. Il s'agit d'un grande oeuvre d'art et de réflexion. Vous aimerez cette bande dessinée énormément.
Q: Qu'est ce que le "Daikaisho" ?
"Daikaisho", grossièrement, signifie "La Grande Marée". Dans le monde de "Nausicaa", cela signifie l'incontrôlable expansion de la Mer de Corruption par les ruées d'Oomu.
Q: Si il y a un frère de l'empereur, où est l'empereur Dorok ?
En fait, il y a un peu de confusion dans la traductions américaine. Ces deux "fréres de l'Empereur" SONT les empereurs des Doroks. Après la mort de leur père, le premier Saint Empereur, il était supposé qu'ils régneraient sur l'empire ensemble, donc deux nouveaux titres furent créés pour eux - "Koutei" et "Koukei". "Kou" signifie "Empereur", "Tei" signifie "plus jeune frère", et "Kei" signifie "plus vieux frère". Cela signifie, en fait, "Empereur, le plus jeune" et "Empereur, le plus vieux". Koutei a la même prononciation que "Koutei" (empereur), mais utilise différents kanjis (caractères chinois). Koutei Miralupa était celui qui en réalité gouvernait l'empire, parce qu'il possédait un pouvoir mystique, alors que Koukei Namulis n'avait pas cette chance. Quand Viz commença à publier la version américaine de "Nausicaa", "Koukei" n'était pas encore apparu dans la version japonaise de "Nausicaa", donc le traducteur supposa qu'il était un frère de l'empereur, plus jeune (en fait, à cet instant dans le manga, la plupart des lecteurs japonais croyaient cela, aussi).
Q: Est ce que les symboles utilisés pour le langage Dorok a un rapport avec les kana ou les kanji ?
Non, il n'y a pas de référence systématique dans le langage Dorok aussi loin que nous le sachions (vous pouvez essayer de trouver). Néanmoins, les caractères, parfois, ressemblent à une très vielle forme de Kanji (caractères chinois) datant de la dynastie Chou ou plus vielle encore. Par exemple, dans une scène où les Doroks étaient en colère, un symbole qui ressemble un peu au kanji "colère" était utilisé.
Ils sont similaires aussi aux Bonji. Les bonji sont une sorte de Sanskrit qui sont utilisés pour écrire les noms (et mantras) des déités Bouddhistes. Vous pouvez les trouver sur les statues ou les temples. Dans certaines écoles du Bouddhisme, ils sont considérés comme étant des symboles magiques. Beaucoup de mangas et d'animes les empruntent du Bouddhisme et les utilisent pour des sorts de magie.
Q: Qu'est ce que "La Princesse Qui Aimait les Insectes" ?
C'est une histoire dans "Tsutsumi Chunagon Monogatari", qui fut écrit à la fin du 12ème siècle. Miyazaki s'inspira de la princesse de cette histoire pour créer "Nausicaa". Cette princesse était assez excentrique. Elle ne teintait pas ses dents en noir, elle ne rasait pas ses sourcils, et elle était bronzée puisqu'elle sortait dehors (c'est l'équivalent de se promener nu aujourd'hui). Elle aimait les insectes et les vers, pendant que les autres princesses aimaient les papillons. Mais elle était incroyablement intelligente et perspicace (de notre point de vue). Elle disait "La beauté est seulement superficielle. Tu dois voir la vrai nature des choses pour les comprendre", et aimait regarder les chenilles devenir des chrysalides. Quand ses parents essaya de la persuader d'abondonner ses "hobbies", elle répondit, "Pour comprendre une chose, tu dois regarder profondément en elle, et la voir de son commencement jusqu'à sa fin. Un jour, cette chenille deviendra un papillon. La soie que vous portez proviennent de ver à soie, aussi."
Miyazaki se demanda comment cette princesse survécut une fois adulte, et quel fut son destin. Nous pouvons voir les traits de caractères de cette princesse en Nausicaa.
Q: Y aura t'il une suite à Nausicaa ?
Très peu probable. Quand il est interrogé sur la possibilité d'une suite au film, Miyazaki répond par un "non" catégorique. Il a eu suffisamment de difficultés pour adapter le manga en un film une fois, et il ne veut pas recommencer à nouveau. En ce qui concerne la possibilité d'une suite au manga, Miyazaki était quelque peu plus ambigus. Il semblait qu'il avait quelques histoires en tête. Il dit une fois qu'il voulait écrire un manga sur Nausicaa dans sa trentaine, donc peut être qu'un jour nous aurons la possibilité de lire ce qui s'est produit après la conclusion du manga.
FilmDeCulte - Le Voyage de Chihiro est-il votre dernier film ?
Hayao Miyazaki - Non, une nouvelle série de films est à venir.
FilmDeCulte - Avez-vous été influencé par Alice aux pays des merveilles, dont l'univers semble très proche de celui de Chihiro ?
Hayao Miyazaki - J'aime beaucoup le roman de Lewis Caroll, mais il ne m'a pas servi de modèle. S'il y a une influence, elle est inconsciente.
FilmDeCulte - Quelles sont les sources de votre inspiration ?
Hayao Miyazaki - Aucune en particulière. J'essaie ne pas décevoir l'attente des fans. Je me suis toujours mis en tête de ne jamais faire deux fois la même chose... mais mes amis me disent que je fais toujours la même chose.
FilmDeCulte - Vous avez la réputation d'être particulièrement sévère envers vos collaborateurs, qu'en est-il ?
Hayao Miyazaki - Il m'arrive d'être sévère, mais cette sévérité est juste. Un travail d'animateur requiert une certaine exigence.
FilmDeCulte - Comptez-vous revenir dans le manga ?
Hayao Miyazaki - Je ne pense pas. Je m'investis trop dans l'animation pour avoir le temps de refaire des mangas.
FilmDeCulte - A quel moment de la production considérez-vous que vos personnages sont finis ?
Hayao Miyazaki - Au moment où ils sont à l'écran. Ils évoluent tout au long de la production.
FilmDeCulte - Vous occupez-vous de la diffusion de vos films au cinéma, en vidéo et à la télévision ?
Hayao Miyazaki - Absolument pas, les films ne m'appartiennent plus une fois finis. Il y a des personnes qualifiées pour s'en occuper.
FilmDeCulte - Comment vous situez-vous par rapport à Disney ?
Hayao Miyazaki - Je suis en équilibre sur un fil. Comme Disney, les budgets de nos films ont connu une hausse considérable. Depuis Kiki, le service de livraison de la sorcière, ils ont été multipliés par dix. D'une part, parce que la qualité des films s'est améliorée - les décors sont plus fouillés, les couleurs mieux travaillées -, d'autre part parce que les salariés sont mieux payés, ce qui est une bonne chose.
FilmDeCulte - Le studio Ghibli compte quelques animateurs étrangers. Ont-ils une influence sur votre travail ?
Hayao Miyazaki - Il y a un animateur italien au sein du studio, nous avons également eu un Français [ndlr: David Encinas], mais ils n'ont pas de réelle influence. Pour cela, il faudrait qu'ils soient réalisateurs.
FilmDeCulte - Comment expliquez-vous le succès considérable du Voyage de Chihiro au Japon ?
Hayao Miyazaki - J'ai une histoire à vous raconter. Au moment de la sortie des Aventures de Hols, prince du soleil (Taiyo no oji Hols no daiboken), Yasuo Otsuka, Isao Takahata et moi-même étions persuadés de changer la face du monde. Mais le film a fait un flop. Curieusement, je n'ai pas été déçu plus que ça, je me suis dit qu'après tout, les spectateurs étaient peut-être tous des imbéciles. A dater de ce jour, j'ai décidé que je ne me préoccuperai plus du nombre d'entrées.
FilmDeCulte - Que pensez-vous de la 3D ?
Hayao Miyazaki - Je reste attaché au dessin à la main et au travail sur cellulo. Nous utilisons des images de synthèse, en essayant de les rendre les plus discrets possibles. Mais comme nous ne les maîtrisons pas encore, le résultat n'est pas parfait. Je préfère de loin la 2D qui a beaucoup plus de vie et d'épaisseur que la 3D. Par-contre, je conseille à mon ami John Lasseter de continuer la 3D, il le fait très bien.
FilmDeCulte - Avez-vous rencontré des difficultés pour réaliser Le Voyage de Chihiro ?
Hayao Miyazaki - Avant tout au sujet du temps. Le film devait durer 3H.
FilmDeCulte - Qui chante le générique de fin ?
Hayao Miyazaki - Youmi Kimura, une chanteuse inconnue jusque-là. Elle avait composé le morceau pour un précédent film, mais je ne l'avais pas utilisé. La cassette traînait depuis quelque temps sur mon bureau. En la réécoutant, j'ai tout de suite senti que la chanson collerait parfaitement. J'ai donc dû bataillé ferme contre Joe Hisaichi qui avait déjà écrit un autre générique.
FilmDeCulte - Vous n'écrivez jamais de scénario à l'avance, mais au fur et à mesure. Comment envisagez-vous un tel travail ?
Hayao Miyazaki - Je dessine directement le storyboard, la réalisation chevauche donc l'élaboration du scénario. Isao Takahata est bien plus organisé, mais au final la production de nos films prend autant de temps. Donc je continue ma méthode. Ceci dit, je reconnais qu'elle est très mauvaise et je la déconseille vivement aux réalisateurs inexpérimentés. C'est le meilleur moyen pour faire fuir les producteurs !
Ciné Live : Vous avez eu du mal à choisir une image extraite du film...
Hayao Miyazaki : C'est un choix très difficile car le film est tellement éclectique... Disons que j'ai choisi cette photo car c'est le moment où Chihiro, l'héroïne du film, prend une initiative. Elle retrouve l'origine de son essence. Elle retrouve ce qu'elle avait oublié d'elle-même. Elle se rencontre. Cette idée d'aller à la rencontre de soi-même est un des thèmes principaux de ce film.
Comment vous est venue l'idée du scénario de Chihiro ?
D'abord, je n'écris jamais de scénario, je passe immédiatement au story-board. Avec mon équipe, nous construisons le film d'une manière qui pourrait s'apparenter à la construction d'un bâtiment. Un peu comme si, jour après jour, nous posions des pierres. Parfois, certaines s'avèrent trop grosses ou ne vont pas avec les autres précédemment posées. Alors nous les mettons de côté tout en envisageant de les réutiliser à un autre moment. Il n'y a pas d'idée générale dès le départ.
Quelle a alors été la première pierre du film ?
L'image d'une petite fille recroquevillée sur elle-même au fond d'une voiture et dont on devait s'apercevoir tout de suite qu'elle n'était pas vraiment mignonne.
C'est assez inhabituel, surtout dans le contexte d'un dessin animé. Le héros doit plutôt apparaître comme étant immédiatement sympathique...
Justement, je souhaitais peindre le portrait d'une enfant ordinaire, tout juste capable d'accomplir des choses dont n'importe quelle petite fille de son âge est capable. Je n'avais aucune envie de lui faire faire des choses impossibles ou extraordinaires. Je ne la souhaitais ni comme un personnage particulièrement idéalisé, ni possédant un quelconque talent exceptionnel. En un mot, je la voulais banale.
Il y a dans votre film une très belle idée de scénario qui est, pour Chihiro, le risque de perdre son nom...
Dans la société actuelle, concrètement, beaucoup de personnes perdent leur identité jusqu'à en oublier leur nom. Vous faire oublier qui vous êtes est une façon pour les autres de vous dominer. C'est d'ailleurs un des autres thèmes de cette histoire : quel est le rapport que Chihiro va entretenir avec la domination ? Va-t-elle la subir ou, au contraire, la renverser pour dominer à son tour ? Le nom et la perte de celui-ci est une des clés de ce film. Le nom est pour moi le symbole de ce que l'on doit absolument préserver lorsque l'on se fond dans un groupe. Si Chihiro perd son nom, elle risque soit d'être effacée soit d'être transformée en cochon !
Quelle pourrait être la spécificité du voyage de Chihiro par rapport à vos précédents films ?
D'abord, le personnage de Chihiro représente un type de personnage je n'avais jamais développé dans aucun de mes autres films. Mes héros sont plus souvent attirés par la nouveauté. Ils ont une vraie capacité à s'étonner, à découvrir. Cette fois, mon héroïne est plutôt en retrait, elle a peur.
Cela a-t-il eu des conséquences sur votre approche de la mise en scène ?
Oui, et d'abord sur la composition du cadre. Chihiro est souvent en rétractation dans l'image, ce qui n'était pas le cas des héros de Princesse Mononoké ou de Mon voisin Totoro. Et en même temps, elle est aussi en train de courir tout le temps. Elle est beaucoup moins stable que les personnages précédents. Elle est beaucoup plus en mouvement. Ce qui a bien évidement influencé la réalisation de nombreux plans.
Vous avez dit souhaiter conférer à chacun de vos films un rythme particulier. Comment caractériseriez-vous celui-ci ?
Guzu ! C'est à dire "maladroit". (rires) Tout simplement parce que mon personnage l'est un peu. C'est ce qui explique d'ailleurs que le film soit si long (rires) Comme Chihiro est empotée - qu'il s'agisse de prendre une décision ou de faire quelque chose - et que la caméra suit cette héroïne, le rythme du film est à son image.
Comparé à l'ensemble des productions animées actuelles, votre film use moins de vastes mouvements de caméra...
Vous trouvez ? Il y en a pourtant pas mal...
Vous avez quand même recours à une grammaire de cinéma assez classique...
Par rapport à d'autres films je ne peux pas vous dire car je n'en vois pratiquement pas. Mais ceci dit, je vois ce que voulez dire et je suis plutôt d'accord. Il est vrai que je n'aime pas entraîner les spectateurs dans des mouvements de caméra qui ne sont pas justifiés. Il est assez facile et tentant de manipuler les sentiments du public ou les destins des héros en faisant des panoramiques ou d'amples mouvements de caméra. Je crois que pour cette raison, je pourrais ne travailler qu'en caméra fixe. Seulement parfois, il faut suivre personnages et le mouvement donc imposé non par ma volonté par le personnage lui-même. Ou bien dans le cas où un cadre ne suffit pas à tout montrer, je vais être obligé d'en changer ou de l'élargir. Mais un déplacement dans ma mise en scène sera toujours justifié par une nécessité de récit, jamais par la psychologie du personnage ou par une envie de virtuosité gratuite. En plus, lorsque l'on se base sur le plan fixe et que l'on commence à bouger, cela donne, à mon sens, une fraîcheur et une authenticité aux mouvements de caméra.
Chihiro est un personnage qui évolue et qui change beaucoup au cours du film, alors que l'histoire se déroule sur très peu de temps…
Pour moi, Chihiro est un personnage qui, au début du film, est mou, malléable. Un visage qui n'est pas tout à fait terminé. Elle n'est pas très jolie, un peu boudin… Pas terrible quoi ! (rires) En revanche, à la fin, le dessin a évolué de manière à ce que les traits de Chihiro puissent promettre une jolie jeune fille.
Justement, par quels moyens êtes-vous parvenu à faire apprécier ce changement ?
D'abord, comme vous le remarquiez, le film se déroule sur très peu de temps. Il n'était donc pas question que Chihiro change vraiment, qu'elle ait l'air plus âgée, qu'elle soit plus grande... Il fallait pouvoir exprimer une modification chez un personnage qui ne change pas physiquement. A mon sens, le plus important dans un visage, ce ne sont pas les traits mais les expressions. Pour un dessinateur, c'est là le moyen privilégié de révéler le paysage intérieur d'un personnage. C'est vrai qu'ici, au fur et à mesure du déroulement de l'histoire, mon équipe et moi-même avons enrichi Chihiro en terme d'expressions, alors que ses traits restent identiques. Je vais vous donner un exemple. Prenez un classique comme Cendrillon. Si dès le départ vous montrez Cendrillon comme une sublime jeune femme et ses sœurs et sa belle-mère comme d'immondes marâtres, l'histoire est finie. En revanche, si vous dessinez Cendrillon au début comme étant un peu éteinte, un peu terne, mais que le dessin révèle des possibilités dans ce visage qui s'illuminera en fonction des chances qui sont offertes au personnage, l'histoire devient alors un thriller formidable.
Le dessin de Yubaba et de sa jumelle Zeniba, dans le choix des proportions, est aussi très inspiré de la psychologie des personnages. Ce nez énorme et ces volumes inversés renforcent la méchanceté du caractère...
Yubaba est avant tout une gestionnaire, elle n'est pas spécialement méchante. Tout ce qu'elle dit à Chihiro au début, lorsqu'elle la traite de paresseuse et de bonne à rien, elle le dit en tant que chef d'entreprise. Le fait de l'avoir dessinée de manière si disproportionnée tout comme son nez, ses yeux ou sa coiffure, sont des éléments de peur pour Chihiro. Et je voulais transmettre ses craintes au public au travers du dessin. En fait, il y a un secret dans la conception de ce personnage : elle possède une tête énorme et en même temps, elle est de petite taille. J'ai voulu dès le départ qu'elle soit ainsi pour que Chihiro, à partir du moment où elle commence à grandir, puisse être de la même taille que Yubaba et qu'elle puisse parler avec elle d'égale à égale. Que du moment où Chihiro parvient à vaincre sa peur, elle puisse passer du stade dominant-dominé au stade d'égalité. Un autre secret de ce personnage tient dans le fait que même dans l'équipe, personne ne savait exactement la taille de Yubaba. Elle évoluait instinctivement en fonction de la psychologie de Chihiro. Par exemple, parfois, les yeux de Yubaba arrivaient plus bas que ceux de Chihiro, et parfois c'était le contraire.
Vous avez travaillé pour la première fois avec des couleurs numériques. Quel changement cela a-t-il induit ?
En général, il faut être fixé sur les couleurs très tôt, car dans l'animation, vous pouvez utiliser jusqu'à mille couleurs différentes. Pour ce film, j'ai effectivement travaillé pour la première fois avec des couleurs numériques, qui sont des teintes intermédiaires. Cela nous a obligés à revoir totalement notre façon de faire. Jusque-là, nous déterminions une charte de couleurs avant même de commencer le film, mais cela n'a plus été possible. En effet, les couleurs numériques ne peuvent s'utiliser qu'en fonction du rapport entretenu avec la couleur avoisinante. Mais nous nous sommes aperçus que ces couleurs étaient approximatives, peu fiables. En plus, je les croyais inaltérables car élaborées numériquement, mais en fait, selon les moniteurs, elles étaient à chaque fois différentes. Nous avons donc travaillé en premier sur les fonds et avec des méthodes de coloration traditionnelles puis, en fonction du résultat, nous attribuions les couleurs aux personnages.
Le montage, par ses ruptures de perspectives, renforce l'impression de perte de repères qui est l'histoire même du film. On ne sait jamais très bien où l'on se trouve, ce qui se situe derrière, devant...
De manière générale, je n'aime pas les scènes explicatives. Pour moi, elles ne servent à rien. Je préfère que la logique de récit s'exprime en fonction de la sensibilité, et non de la réalité. Avec ce film, je voulais que le spectateur éprouve la même chose que Chihiro, le même sentiment d'égarement. Et qu'il soit obligé de réagir non pas avec son intelligence mais avec ses émotions et son cœur.
Xavier Leherpeur (Cinélive)
Le Voyage de Chihiro (Sen to Chihiro no Kamikakushi),
Ciné Live : Vous exprimez très souvent votre admiration réciproque. En quoi vous sentez-vous proches ?
Moebius : Il est difficile de répondre à cette question, surtout en présence de Hayao Miyazaki ! Je pourrais dire que c’est mon frère, même si ce n’est pas tout à fait vrai… En ce qui concerne notre profession, nous sommes à peu près de la même génération, et nous avons commencé à travailler dans un contexte identique. C’est une forme de similitude. Ensuite, il y a les sensations. Pour moi, c’est très mystérieux. Je ne sais pas comment Hayao a perçu mon travail… (se tournant vers lui) Comment avez-vous rencontré mes dessins ?
Hayao Miyazaki : C’est grâce à « Arzach » que j’ai fait connaissance avec votre œuvre. Je sais que vous l’avez dessiné en 1975, même si je ne l’ai vu qu’au début des années 80. Cela a été un grand choc. Un très grand. Et pas seulement pour moi ; pour tous les gens de mon entourage aussi. Enormément de jeunes – et moins jeunes ! – Japonais ont été frappés par ce que vous avez fait dans « Arzach »…
Moebius : La traduction était excellente…
Hayao Miyazaki : Il n’y avait pas que ça ! Malheureusement, dans les années 80, mon œuvre était déjà largement entamée, et je n’ai pas pu profiter à fond de l’influence que j’aurais pu ressentir si j’avais été plus jeune ou débutant. Je pense que cela aurait encore plus pesé. Je crois même que j’aurais aimé que « Nausicaä » tienne encore plus de vous… Mais ce que j’apprécie plus que tout dans votre travail, c’est la perception de l’espace. C’est vraiment quelque chose de formidable, que j’aime encore aujourd’hui (…). On ne pense jamais en terme de business, mais Toshio Suzuki (le président du studio Ghibli NDR),comme moi, est conscient qu’il faut faire quelque chose qui attire, réjouisse ou distraie les spectateurs. Ça, on ne l’oublie jamais. Mais ce n’est pas en termes d’économie.
(…)
Moebius : ( …)« Le château ambulant » est d’une grande complexité. Dans les entrées et les sorties des lieux, à propos de l’âge des personnages… D’une certaine façon, c’est déroutant. Le temps consacré aux explications est légèrement amputé, et beaucoup de choses restent inexpliquées. C’est ça qui est intéressant.
Hayao Miyazaki : En fait, ce film est destiné aux jeunes filles de 60 ans ! Je souhaite susciter des réflexions sur l’âge. Quelle différence y a-t-il entre 18 et 60 ans ? Reste-t-on éternellement jeune ? Il y a peu, j’ai rencontré une femme âgée de 90 ans qui me disait : “Je n’ai pas du tout changé depuis mes 18 ans ! Je suis toujours la même !”.
Moebius : Récemment, j’ai répondu dans une interview que ce que j’aimais chez vous, c’était la présence de jeunes vierges, qui sont les personnages principaux de vos films. Nous sommes tous, dans un aspect de notre âme, de jeunes vierges, de jeunes filles pré-pubères. Et c’est cela que l’on perçoit dans « Le château ambulant ».
Hayao Miyazaki : Le film raconte l’histoire de Sophie, 18 ans, victime d’un maléfice qui la fait vieillir de 72 ans. Mais attention ! Je ne voulais pas faire une histoire racontant la fin du maléfice et le retour à ses 18 ans de la jeune fille…
Moebius : Elle est transformée par l’expérience…
Hayao Miyazaki : Le maléfice ne sera pas dénoué par le retour à la jeunesse. Qu’est-ce que la fin du sort peut apporter à une femme de 18 ans qui a soudainement 90 ans ? Pas de redevenir jeune. C’est autre chose, et c’est justement ça, le sujet du film. Par contre, effectivement, vous pouvez vous poser des questions sur le personnage de Hauru. Je n’ai pas eu le temps, en fait, d’y réfléchir dès le départ. J’ai donc demandé à mon équipe ce qu’ils en pensaient. Dans la mesure où Hauru est un représentant de la gent masculine et qu’au Japon les hommes travaillent beaucoup et rentrent tard le soir, les épouses et les enfants se désintéressent peu à peu d’eux. C’est comme ça que j’ai dépeint Hauru. C’est quelqu’un qui n’a pas beaucoup d’intérêt puisqu’il ne prend pas le temps de se rendre intéressant vis-à-vis des gens qui sont chez lui.
(…) Moebius : Doutez-vous, parfois, de votre travail ?
Hayao Miyazaki : Tous les jours ! (rires) Je perds confiance en moi à chaque fois que mon équipe me dit qu’elle ne comprend rien au film. J’ai vraiment l’impression, dans ces moments-là, que le plancher se dérobe sous mes pas.
Moebius : Une chose m’a énormément frappé lorsque j’ai vu « Princesse Mononoké », mais surtout « Le voyage de Chihiro » : je n’arrivais pas à imaginer qu’un producteur ait pu accepter le scénario… Et c’est ça, votre génie.
Hayao Miyazaki : Toshio Suzuki ne s’oppose pas à mes projets. Il me demande simplement de respecter mes délais ! (rires)
Moebius : Si vous aviez travaillé pour Disney, vous n’auriez jamais pu réaliser un film. Pas même « Nausicaä ».
Hayao Miyazaki : Pour être honnête, je suis incapable d’avoir une discussion avec mes collaborateurs. Je leur dis : “Je fais ça et vous me suivez.” Il me serait impossible d’aller contre une équipe ou quelqu’un.
Moebius : Ça se sent complètement. C’est donc un rapport de confiance, d’amitié…
(…) Moebius : J’aimerais faire une observation. Une chose m’a frappé dès le début. Vous vous êtes inspiré, dans pratiquement tous vos films fantastiques, de l’Europe, de sa mythologie… L’Italie pour « Porco Rosso », l’Allemagne rhénane dans « Kiki la petite sorcière » et « Le château dans le ciel », la Finlande pour « Nausicaä ». C’est une perception de l’Europe très sympathique, idéalisée. Amoureuse, même. Un peu comme nous, lorsqu’on regarde le Japon. Par contre, j’ai trouvé que des films comme « Princesse Mononoké », « Mon voisin Totoro », « Le voyage de Chihiro », représentent presque un retour à la terre natale. C’est très émouvant. J’ai aimé les deux. Quelque part, ça remet la planète à l’endroit.
Hayao Miyazaki : Personnellement, j’ai bien sûr des moments de désespoir, de découragement, et une vision pessimiste du monde. Mais ce qui est important, c’est de faire le film pour les enfants. Qu’ils se sentent réconfortés, que le monde leur apparaisse gai, joyeux. Qu’ils aient envie d’y vivre. Quel que soit le pays que je peins, il faut qu’il soit chaleureux, attirant… C’est toujours à ça que je pense. Peu importe le pays, même s’il est imaginaire. Je ne veux pas y mettre la dimension pessimiste que je porte en moi. Je me dois de les ignorer pour les enfants qui vont voir mes films…
"La logique n'est que la partie superficielle du cerveau"
Hayao Miyazaki Décembre 2001
"La nostalgie a beaucoup d'apparences. Elle n'est pas le privilège des personnes âgées. Les enfants aussi la ressentent. C'est d'ailleurs le sentiment le plus partagé par les humains. Le mot nostalgie n'a pas d'équivalent en japonais. Pourtant je le comprend et le connais. Car vivre amène toujours à laisser derrière soi quelqu'un, à perdre quelque chose."
Il semble que vous commenciez vos films en l'absence de scénario et que vos histoires se développent au fil des coups de crayon.
Oui. L'idéal serait d'avoir un scénario totalement fini avant de commencer la réalisation. Mais, dans les faits, après l'esquisse d'un début, on confectionne un story-board. Puis on continue la rédaction du scénario en parallèle du story-board. C'est une méthode dangereuse. Je ne la conseille à personne.
Par cette technique, les personnages que vous dessinez atteignent peut-être à une certaine autonomie. Vous arrive-t-il de vous projetez en eux?
Cette méthode m'inquiète moins par l'empathie envers mes personnages que par le temps de préparation du film qu'elle implique. Je discute tout le temps avec mon producteur. Il me dit toujours que ce n'est pas un problème, que la réalisation peut encore être prolongée. En fait, il cherche à me faire peur. Il sait qu'une année supplémentaire de labeur serait pour moi infernale, impossible. Je tiens à ajouter que, grâce au développement en parallèle des dessins et du scénario, je respecte le travail de mes collaborateurs. Je ne gomme jamais ce qu'ils ont imaginé. En principe, tout est conservé et intégré dans le fil du récit.
Vos personnages naissent par la seule grâce du crayon?
Ils ne viennent pas au monde sous le seul effet du crayon. La plupart prennent vie dans ma tête. Ensuite ils se déplacent dans mon imagination. A ce stade, je commence à les dessiner. Je jette alors beaucoup. Ils ne se mettent à vivre totalement qu'après de nombreux essais. Pendant ce temps, l'équipe attend dans un suspense insoutenable. Je crois que tout cela est nécessaire à la qualité de l'œuvre.
Pourquoi la plupart de vos personnages principaux sont-ils des jeunes filles?
Pour répondre, je pourrais être simple et dire que j'aime les femmes. Je pourrais aussi être plus long et plus complexe.
Vos paysages s'inspirent autant de l'occident que du Japon, et d'époques multiples. Qu'est-ce qui provoque le choix de telle ou telle esthétique à l'orée d'un film?
Il y a dans mes films un nombre considérable de cadres différents. Et j'en ai beaucoup en réserve. Le choix de l'un ou de l'autre s'effectue au moment où je débute le film, avec le producteur. Parce que même au moment où j'ai envie de faire le film, j'enrichis le stock qui est en moi. Il s'accroît sans arrêt. Je porte en moi, dans mes bagages, beaucoup d'univers. Ainsi, par exemple, je conservais depuis longtemps, depuis mon enfance, le cadre des bains que l'on peut voir dans Le Voyage de Chihiro. Celui de Mon Voisin Totoro, je l'ai porté pendant 13 ans. De même pour Laputa.
Dans Mon Voisin Totoro pointait un sentiment de nostalgie, que l'on perçoit également dans Chihiro mais d'une manière légèrement différente.
La nostalgie a beaucoup d'apparences. Elle n'est pas le privilège des personnes âgées. Les enfants aussi la ressentent. C'est d'ailleurs le sentiment le plus partagé par les humains. Le mot nostalgie n'a pas d'équivalent en japonais. Pourtant je le comprend et le connais. Car vivre amène toujours à laisser derrière soi quelqu'un, à perdre quelque chose.
La plupart des films en provenance du Japon présente une vision sombre et nihiliste du futur et de l'âme japonaise. Vos films, au contraire, exaltent l'espoir et les sentiments les plus nobles.
En réalité, je suis un pessimiste. Cependant, je n'ai pas le droit d'imposer cela aux enfants, de leur transmettre. Je ne crois pas que les adultes doivent leur imposer une vision du monde. Ils doivent la construire par eux-mêmes.
Cela signifie que vous faites des films pour enfants. Seulement pour eux?
Non, pour les adultes aussi, pour beaucoup d'autres personnes. D'ailleurs, je cherche aussi à me faire plaisir. Les films pour enfants plaisent aux adultes quand ils sont vraiment faits pour ce public. L'inverse n'est pas vrai. Je vais vous donner ma version de la différence entre l'enfant et l'adulte. Avec les enfants, on peut toujours recommencer. Au contraire, avec les adultes, la donne est faite et on ne peut la changer. C'est pourquoi ils aiment les films dits pour enfants. Ceux-ci leur donnent l'impression qu'ils peuvent reprendre les choses à zéro.
En tant qu'auteur, vous vous autorisez tous les rebondissements. Vous vous émancipez de l'obligation de ne pas perdre le spectateur. Et paradoxalement, par cette liberté, vous le gagnez.
La logique n'est que la partie superficielle du cerveau. Il me serait impossible de faire un film qui ne serait régi que par elle, comme c'est le cas pour la majorité du cinéma. Quand je me suis aperçu de cela, j'ai ouvert les portes de mon inconscient. J'en ai soulevé le couvercle et pris une orientation toute différente de celle que me proposait la logique. Quand je suis cette voie, l'histoire commence à se développer. Cependant ce n'est pas sans danger. Lorsque j'opère ainsi, toute ma vie sociale et familiale est mise de côté.
En Occident, parler d'inconscient, c'est se référer à la psychanalyse. Pourtant, a priori, il n'y a rien de psychanalitique dans votre œuvre.
Par inconscient, j'entend tout ce qui est hors du champ de la conscience. Une multitude de choses sont enregistrées par notre cerveau et restent là en attente, mais d'une manière non consciente. Si je ne me fiais qu'à la partie superficielle de mon cerveau, je ferai des calculs afin de plaire aux spectateurs. Mais je préfère prendre le contre-courant de la logique. Par exemple quand Chihiro prend le train toute seule, la fin du film est atteinte. Je ne saurais l'expliquer. Je le sais, c'est tout. Ce n'est pas logique, donc c'est issu de l'inconscient. Je vais vous donner un autre exemple de sa manifestation. Dans Le Voyage de Chihiro, on voit la petite fille monter seule dans un train. Quand on prend pour la première fois un train tout seul, on est envahi par des sentiments d'inquiétude et de solitude. Pour communiquer cette tension par le dessin, on peut utiliser les paysages extérieurs. Mais la plupart des individus, après leur premier trajet en train, ne se souviennent pas des lieux traversés. Aussi, afin de rendre toutes ses impressions, j'ai choisi de ne rien mettre autour du train, de laisser l'horizon vide. Sans m'en rendre compte, j'avais préparer cela, puisque j'avais décidé en amont que la pluie créerait un océan entourant la cité des bains. Au moment où nous avons conçu la séquence du voyage en train, je me suis donc dit "quelle chance, cet océan; heureusement qu'il n'y a pas de paysage". Dans ces moments-là, je m'aperçois que je travaille de manière inconsciente. Et je l'accepte.
Vous vous inscrivez dans la tradition des conteurs d'histoires. Le conte est-il selon vous une nécessité pour l'être humain?
Je ne raconte pas d'histoires. Je dessine. Mais je crois à la force du conte, à l'importance de son rôle dans l'existence et la construction des êtres. Pour preuve, beaucoup de personnes sont émerveillées par les contes et les histoires, et je crois pour encore longtemps.
Au Japon, Le Voyage de Chihiro est classé dans la catégorie dite "fantasy".
Le terme "fantasy" désigne pour nous un univers où prime l'imaginaire. Mais on l'applique à trop de choses, à tout et n'importe quoi. On l'utilise pour désigner aussi bien les jeux vidéos que les jeux télévisés. Il devient synonyme de virtuel. Il faut réfléchir à cette évolution. Pour moi, c'est un vrai problème, un dilemme. Car même si on ne peut se restreindre à la réalité, si l'imaginaire est nécessaire, le monde virtuel ne doit pas recouvrir le réel. Je me bats contre la trop grande place prise par l'imaginaire aujourd'hui.
Quelle est la scène emblématique de votre dernier film?
Je me lance dans chaque nouveau film sans véritable scénario, avec seulement un bout de story-board. Aussi toute scène est pour moi la scène centrale. Par exemple, quand nous avons commencer Chihiro, la transformation des parents en cochons étaient pour nous la scène la plus importante. En fait, je passe d'une scène dite centrale à une autre. On ne peut donc dire qu'il y a une scène emblématique. Elles sont toutes cruciales. Néanmoins, deux scènes sont peut-être plus symboliques que les autres. Celle où Chihiro est recroquevillée à l'arrière de la voiture, au début, et celle, à la fin, où elle apparaît seule mais grandie. Entre les deux se trouve le sens du film.
Vous avez dit un jour que chacun de vos films "tend à devenir lui-même". Chacun contiendrait donc un ordre interne auquel vous vous soumettez.
On peut effectivement dire que le film me donne des ordres. Le Voyage de Chihiro contient 1415 plans. Je voulais l'arrêter à 1200 plans. Mais j'ai dû continuer. Le film l'avait décidé. En soi, cette idée ne me paraît pas si bizarre.
Au début du film, Chihiro semble paresseuse. Elle a apparemment un problème. En cela, elle diffère de vos précédentes héroïnes.
Encore une fois, je ne l'ai pas choisi. De nos jours, au Japon, nombre de petites filles sont comme elle, blasées malgré les efforts déployés par leurs parents. J'ai eu l'idée de ce film en m'apercevant qu'il n'y en avait aucun qui parlait avec justesse de ces enfants d'une dizaine d'années. La fille d'un de mes amis m'a dit un jour que tous ces personnages d'enfants étaient à ses yeux fictifs, irréels. J'ai eu alors envie de parler de ces gamins, et de leur dire que dans la vie réelle, les choses pouvaient également bien se passer. C'est pourquoi Chihiro devait être banale, à l'image de toutes les petites filles japonaises d'aujourd'hui. Elle n'a pas de pouvoir particulier, comme c'était le cas pour mes anciennes créations, Nausicaä, Sheeta ou Kiki. A chaque fois que je la dessinais, je me demandais si cette petite fille que je connaissait pourraient faire la même chose. Il m'a fallu trois ans pour faire ce film. Elle avait 10 ans au début du projet, et 13 à la sortie en salle. Quand elle l'a vu, elle m'a dit que je ne l'avais pas trahi. Tout est faux dans le film, mais je n'ai pas trahi la confiance de cette enfant.
De Porco Rosso, dont le personnage principale est un cochon aviateur, au Voyage de Chihiro, où les humains se transforment en cochons, vous semblez avoir une fascination pour cet animal.
En fait, un cochon est plus facile à dessiner qu'un chameau, une girafe ou un ours blanc. Et cet animal correspondait à ce que je voulais dire dans Chihiro. De plus, je l'aime bien. Il nous ressemble. Ne dit-on pas que l'on se comporte comme un cochon ou que l'on a un ventre de cochon?
Pourriez-vous nous décrire la naissance de la superbe séquence du dieu putride?
Ce dieu ne trouve pas son origine dans la mythologie japonaise. Il vient de ma propre expérience. Près de chez moi, à la campagne, il y a une rivière dont le fond est toujours très sale, bien qu'elle soit régulièrement nettoyée. Un jour, une association qui s'occupe du nettoyage des rivières a essayé d'en sortir un vélo. Le guidon était si enfoncé dans la vase qu'ils ont dû l'attacher à une corde. C'est cette scène que j'ai transposée à ma manière dans Chihiro. Je tiens à préciser que les poissons commencent à revenir dans cette rivière, même si tout le monde continue à y jeter n'importe quoi.
Quels sont vos projets?
Les studios Ghibli ont ouvert un musée pour lequel je prépare une salle dévolue aux courts-métrages. Je travaille moi-même sur plusieurs d'entre eux.
Le succès international que rencontrent les films des studios Ghibli a-t-il changé votre manière de travailler?
Non. Ma doctrine est très solide. Le cinéma reste incertain. Nul succès est prévisible. Aussi je fais mes films sans me soucier de l'accueil qui leur sera réservé.
Propos recueillis par Manuel Merlet lors d'une conférence de presse donnée le 21 décembre 2001 au Forum des Images, à Paris.
14 2002
Porco Rosso et la guerre civile en Yougoslavie.
Yom : Après Nausicaä, avez-vous fait des dessins animés conformes à vos intérêts à cette époque? Les choses que vous vouliez faire ou des choses que vouliez voir...
Miyazaki : Je pense que je les ai tous choisi parce que j'ai pensé que c'était intéressant. Même quand j'étais obligé de travailler sur un projet, j'ai essayé de le tirer dans la direction où je voulais aller. Si je ne veux vraiment pas le faire, je ne le fais pas. Mais pour Porco Rosso, j'ai fait des choses à l'encontre de mon intention.
Yom : Que voulez-vous dire?
Miyazaki : J'avais l'intention d'effectuer des choses complètement différentes de manière plus légère, mais je n'ai pas pu montrer mes véritables sentiments. Rien ne sortait. J'étais sensé le faire comme un film commercial, mais avec une véritable confidence, seulement, j'ai perdu le contrôle de moi-même. J'étais embarassé.
Yom : Quelles sortes de sentiments?
Miyazaki : Si vous ne pouviez pas les sentir dans le film, ce serait mieux. Je n'aurai pas du commencer l'histoire dans la mer Adriatique. Beaucoup de personnes pensent que cela se passe en Italie mais Porco vit sur la côte croate. Elle est devenue le champ de bataille de la guerre civile. Je venais juste faire une histoire pour vous faire sourire mais cela est devenu compliqué. J'ai alors du lire l'histoire contemporaine de la Yougoslavie mais ce n'était pas un livre d'histoire consistant et cela a été très difficile à comprendre. Sapristi, je n'ai pas fait attention. J'ai toujours essayé de faire un film pas compliqué mais je ne sais pas pourquoi, il est devenu compliqué. C'était la même chose avec Laputa. Je pensais pouvoir le rendre moins ardu mais mes diverses pensées s'insinuent inévitablement et rendent les choses compliquées. Quand je finis une histoire, je ne sais pas comment, je trouve que je l'ai rendu complexe. J'ai certainement fait Porco comme je le voulais. Je ne pourrai pas le faire d'une autre façon. Mais je me suis senti humilié, en quelque sorte, d'avoir du changer les plans en cours de route, en ne procédant pas comme c'était planifié au départ. Vous savez, j'allais faire un film de quarante cinq minutes et c'est devenu deux fois plus long -rires-.
Le dessin animé est pour les enfants.
Miyazaki : Comme j'ai fait Porco, j'ai senti que je ne pouvais pas partir avant de faire un film correct. J'ai pensé que j'avais à produire une oeuvre qui soit vraiment pour les enfants.
Yom : Quand vous avez commencé Laputa, vous avez dit qu'un dessin animé doit être destiné aux enfants.
Miyazaki : Peut être est-ce du à ce qui arrive dans la société mais de plus en plus de personnes ne considèrent pas les enfants comme leurs objectifs. Beaucoup de nos effectifs ont dépassé les trente ans sans être mariés ou être parents. Quand nous étions à cet âge, nous avions déjà quelques enfants et notre motivation était que nous voulions qu'ils puissent dire "Papa l'a fait". Je pense encore que le dessin animé doit être fait pour les enfants. Mais notre situation change et moi de même. Tandis que je disais "nous devrions le faire pour les enfants", je me suis retrouvé avec un film qui n'est pas pour les enfants. Quand je parviens à la conclusion que "je fais ce qu'il me semble personellement intéressant", cela devient quelque chose qui n'est plus pour les enfants. Je regrette que les films pour adultes ne fassent pas mieux. Je regrette aussi que les ventes de billets et la qualité cinématographique n'aillent pas de pair, et qu'on y introduise les dessins animés. Ce serait mieux si les dessins animés existaient dans un coin du monde du cinéma et que les gens disent "Oh, il y aussi des dessins animé". Si c'était le cas, je n'aurai pas besoin de faire des interviews ou des conférences - rires -. Les directeurs et les animateurs, tous pourraient travailler pauvrement, de façon pure, en restant anonymes, juste parce que nous voulons faire le travail qui puisse nous satisfaire. Il était courant de se focaliser sur ce que nous faisions et nous pouvions travailler, si nous faisions des progrès ou si nous pouvions encourager des gens, selon nos valeurs personnelles, tel que tout ce que nous apprenions dans ce travail. J'ai connu cette ère. En regardant cette expérience, je sens, bien que le dessin animé soit très en vogue, ou bien à cause de cela, que les choses sont plus difficiles maintenant. Je planifie en ce moment, un dessin animé pour les tout petits mais cela est très difficile.
Yom : Pour une sortie au cinéma?
Miyazaki : Soit au cinéma, soit en vidéo. Pas pour la télévision. À moins que nous n'en fassions pas un événement que devront payer les gens pour le voir, ceux-ci ne le regarderont pas vraiment.
Laputa et la passion saine
Yom : Après Nausicaä, vous avez fait Laputa.
Miyazaki : Les choses auraient été plus faciles si un film comme Laputa avait bien marché.
Yom : Les chiffres n'ont pas été pas bons?
Miyazaki : Pour vous dire la vérité, c'était environs le quart des entrées de Nausicaä. Tous les gens qui ont aimé Laputa ont déclaré qu'ils aimeraient mieux quelques chose de sérieux. Mais si des personnes viennent voir un film comme Laputa, nous pouvons penser à différentes manières de concevoir un long métrage. C'est vrai. Un tel film d'aventure demande une énergie saine de création. Je pense que je ne pourrai plus le faire moi-même, et je veux que les jeunes gens le fassent mais il n'y a pas une atmosphère pour cela. Ils préfèrent les détails de la vie quotidienne. Je veux un talent énergique qui veut fabriquer des récits d'aventure pour rejoindre nos effectifs. Je pense que c'est ce qui manque le plus à Ghibli.
À propos de M. Isao Takahata et Pompoko
Yom : Nausicaä et Laputa ont été produit avec comme producteur, Isao Takahata et comme directeur Hayao Miyazaki, mais en 1986, M. Takahata a dirigé Le tombeau des lucioles et vous Totoro. Ils ont complètement séparé les productions...
Miyazaki : Nos façons de penser un film sont complètement différentes. Si nous discutons sur un plan de production, nous n'arrivons jamais à un accord. C'est la même chose avec Pompoko. Tout ce que j'ai dit est "Allons y avec des Tanuki". Bien que cela soit crédité "Producteur : Hayao Miyazaki", le reste a été accompli par le producteur Suzuki qui a parlé avec M. Takahata. Il y a passé tout un semestre et fait en sorte que Takahata dise "Ok, je le ferai". Une fois que nous nous sommes lancés dans la production réelle, j'ai été la "force de poussée". Je ne touche pas à la véritable production du film, je pousse juste les effectifs à travailler. Je suis comme un batteur sur une galère. Dooong, Dooong, "Dessinez!" -rires-.
Yom : Mais il est étonnant qu'un seul mot puisse tout déterminer, focaliser les énergies et construire un film. Quand vous faisiez Nausicaä ou Laputa, vos rôles étaient-ils clairement définis?
Miyazaki : En général, un producteur choisit un directeur et lui donne un projet, mais les rôles ont été inversés dans Nausicaä. Je veux dire que d'abord, les éditeurs d'Animage de la Tokuma Shoten et la bande sont venus me proposer de faire un film de Nausicaä. "Bon, faisons le". Ensuite, si cela avait été un cas habituel, quelqu'un de la Tokuma Shoten serait devenu un producteur mais ils n'avaient même pas un studio d'animation. Et je ne pouvais pas non plus tout faire. Ainsi, je leur ai demandé "Proposez à M. Takahata d'être le producteur". J'ai entendu dire que M. Takahata a dit oui après avoir noircit un bloc note en entier, pour trier ses idées mais je sais qu'il ne voulait pas le faire. -rires-
En vérité, un directeur ne peut pas produire le film de quelqu'un d'autre. Vous ne pouvez pas éviter les mauvaises paroles si vous commencez à critiquer les films des autres. Si deux directeurs ont une querelle face à face, il y aura mort d'homme. -rires-
Yom : M. Takahata et vous, avez donc conçu une relation professionnelle dans laquelle vous pouvez vous déléguer les affaires réciproquement?
Miyazaki : Délégation ou pas, je le prends juste comme "Tu m'as donné ce projet, cela veut donc dire que je peux le conduire comme je veux". Si l'un des deux se mèle du travail de l'autre, nous ne pouvons jamais parvenir à un arrangement. Nous avons cette sorte de relation. Je n'ai donc pas dit un mot, même quand nous faisions Yanakawa Horiwari Monogatari. Mais quand il a dit que le film allait faire quatre heures, j'ai dit "Pardonne-moi, je ne peux pas le permettre".
Yom : Il a finalement duré deux heures et quarante cinq minutes. Mais je n'ai pas ressenti qu'il était trop long.
Miyazaki : Je pense que deux heures auraient été mieux si nous voulions que plus de personnes aillent le voir mais nous n'y pouvions rien. Du moment que nous avions choisi Isao Takahata en tant que directeur, cela ne pouvait finir que de cette manière. Des films sont faits ainsi. Nous ne pouvons pas le faire avec un film pour un large public mais nous pouvons l'effectuer avec ce type de film. Grâce à cela, nous avons évacué la frustation que nous avions accumulée. C'est merveilleux d'entendre dire "Ce n'est pas un problème si les billets se vendent bien ou pas ". En réalité, nous amortissons l'investissement patiemment, petit à petit.
Kiki's Delivery Service
Miyazaki : À l'origine, je n'étais pas supposé réalisé Kiki. Ce que j'ai fait, a juste été d'amorcer le projet. Quand le sujet nous a été soumis, j'ai déclaré "C'est un bon projet pour les jeunes membres de notre personnel" et j'ai aligné une équipe jeune et j'ai commencé le projet. Cependant, je n'ai pas aimé le scénario présenté. J'ai donc dit que si personne l'écrivait, je l'écrirai et je l'ai écrit. Ensuite, le jeune directeur a été intimidé et n'a pas voulu diriger. Finalement, je me suis mis à diriger. Je me suis pris à mon propre jeu. Les choses que je ne peux pas effectuer même si je désire les faire
Yom : Vous avez été le producteur d'Omohide Poroporo mais le film était l'univers de M. Takahata.
Miyazaki : Je me considère comme un représentant des films populaires et je pense que je continuerai à faire des films populaires mais d'un autre côté, quelque part en moi, j'ai commencé à sentir que je ne voulais pas faire un film populaire. Et M. Takahata, davantage. Si nous le laissions faire, il effectuerait une animation qui ne gagnera pas un centime -rires-. Comme le Yukara des Ainu. Il dit toujours qu'il veut le faire mais c'est absolument impossible ici -rires-. J'insiste pour dire que ce serait creuser une tombe pour le studio et qu'il ne peut pas faire une telle chose. C'est ainsi. Ce serait mieux si nous allions six pieds sous terre avec les quelques projets que nous désirions mais nous ne pouvons pas. Je pense qu'il est impossible de faire tout ce que vous voulez. Vous devez faire ce genre de film dans un autre lieu que celui d'un film qu'un ou deux millions de personnes paient pour voir et dont ils sont satisfaits. Quand je regarde un film comme Le chasseur à l'approche de Talkovsky, je réagis : "Il fait comme il lui plait!". Je pense que c'est quelqu'un de talent. La chose qui m'impressionne le plus pour Gaudi, est qu'il a réussi à avoir des sponsors, c'est sa force politique plutôt que son oeuvre. Combien de personnes ont été déçues par ses travaux. Je pense qu'un tel aspect fait partie aussi du talent. Je considère que l'animation est quelque chose un peu plus populaire et nous devons connaître nos limites, ce que nous pouvons faire.
Interview principale
Yom : Nausicaä s'est terminée après treize ans.
Miyazaki : Il y a cinquante neuf épisodes, ainsi, si nous résumons rapidement, cela fait cinq ans. Mais entre le temps écoulé après et avant, je n'ai probablement réellement passé que la moitié de ces douze ou treize ans sur Nausicaä. Pour vous dire la vérité, c'était l'oeuvre dont je me demandais toujours, si je pourrais la finir depuis le temps que je l'avais commencée. Je pouvais dire que j'étais capable d'écrire sans penser à la suite, parce que j'avais décidé que je pouvais l'arrêter n'importe quand. Je travaillais en pensant "Cela prend cette tournure", pas "Je veux que cela prenne cette tournure".
Yom : C'est donc ainsi? Comme c'est un univers avec une grosse intrigue, que nous pouvons qualifier de récit épique, nous avons pensé que vous aviez détaillé le plan de l'histoire du début jusqu'à la fin, et que vous écriviez patiemment en prenant votre temps.
Miyazaki : Non, non, je n'ai pas une telle capacité de planification. J'ai écrit quelque chose parce que j'étais confronté à une date limite et je n'ai réalisé sa signification que beaucoup plus tard. J'ai eu ce genre d'expériences plusieurs fois.
Yom : Le film a été réalisé en 1984, trois ans après que vous avez débuté le manga, et cette année, dix ans plus tard, il s'est achevé. Pendant ce temps, il y a eu beaucoup d'articles écrits dessus dont quelques critiques.
Miyazaki : Il semble que ces critiques proviennent des personnes qui ont lu le manga avec l'impression qu'ils ont eue du film. Ils ont accepté Nausicaä comme une combattante pour l'environnement et ils ne sont pas allés plus loin que cette notion préconçue. Nous pourrions dire que le manga n'a pas réussi à avoir un pouvoir suffisant pour modifier cette vision.
"L'histoire ne finira pas." "L'oeuvre que je n'étais pas sûr de pouvoir finir."
Yom : L'histoire elle-même est très différente entre le manga et le film. Dans le manga également, nous pouvons voir un aspect plus appronfondi de la personnalité de Nausicaä.
Miyazaki : Evidemment. Si le manga et le film étaient pareils, il n'y aurait aucune raison pour ce que je continue à écrire la manga. Je n'étais pas sûr si je pouvais ou de comment je pouvais le réécrire, mais il y avait des parties dans le film dont je n'étais pas complètement satisfait et je me suis donc forcé à le poursuivre. Pour dire la vérité, c'était comme si je me libérais de mon bureau quand je devais arrêter d'écrire pour faire le film suivant. Ce n'est pas une chose que je peux avouer fièrement. Même après avoir fini le film suivant, et en ayant un peu de temps devant soi, c'était dur pour moi de retourner sur Nausicaä. à la fin, je me suis arrêté d'écrire à quatre reprises.
Yom : Le film est devenu une figure de proue pour le mouvement écologiste qui commençait juste à être très en vogue dans les années quatre vingt.
Miyazaki : Je n'y ai pas du tout pensé mais je crois c'est arrivé là par hasard. C'est ce à quoi nous pensions depuis si longtemps et cela a débuté avec des choses telles que le livre de M. Sasuke Nakao. Je veux dire par là que je n'ai pas commencé Nausicaä pour écrire un récit sur l'écologie dans l'intérêt de protéger l'environnement. J'ai d'abord eu l'intention d'écrire une histoire qui se déroulait dans un désert mais ce n'était pas intéressant si je la transposais en dessins. Je l'ai donc mise dans la forêt. Ensuite, c'est devenu ce genre d'histoire. En ce sens aussi, je n'ai pas eu de grosse intrigue. Le processus d'écriture était de la sorte :"Cela semble aller de cette manière donc continuons ainsi". J'étais face à un bloc de papier, je voulais donc quelque chose de grand, d'où des guerriers géants endormis... Cela aussi, je l'ai juste écrit dans le récit en disant des choses comme "Que va-t-il se produire? Je suis désemparé. J'ai continué à travailler en me répétant des mensonges comme "Ce sera éventuellement à l'étude. Le magazine aura disparu avant..." -rires-
Yom : Qu'avez-vous essayé d'écrire quand vous pensiez à un désert?
Miyazaki : Sincèrement, je ne m'en souviens pas. Je sais que j'ai du penser à beaucoup de choses...La seule chose dont je me souviens est que j'étais très irrité. C'était le fait d'être dégoûté par la manière dont la société fonctionne ou quelque chose du même genre.
Yom : C'était en 1981, 1982?
Miyazaki : Cétait juste avant ou après 1980. Non seulement dégoûté par les problèmes d'environnement mais aussi par la voie où les hommes se dirigaient. Surtout par la manière d'être du Japon. Et j'ai été le plus dégoûté par ma propre façon d'être à cette époque.
Yom : Ainsi, au sommet de la bulle économique, vous étiez...
Miyazaki : J'étais très embarrassé. J'étais si bouillonnant. Suis-je calmé pour autant maintenant? Je pense que le sujet de ma frustation s'est déplacé quelque part...
"Quand j'ai fini le film, j'étais au pied du mur."
Yom : Si vous n'aviez pas d'intrigue solide au départ, n'était-ce pas difficile lorsque la fabrication du film de Nausicaä a été décidée?
Miyazaki : J'étais vraiment mal. Si cela avait été le récit de quelqu'un d'autre, je pouvais le rejeter mais là, cela venait de moi et je ne pouvais rien objecter. Même si ce n'était pas écrit dans le manga, derrière chaque case, j'ai mes désillusions, mes pensées et mes sentiments. En utilisant la même trame que dans le manga déjà, en la réarrangeant et en en changeant le sens, j'ai du imposer des limites afin de pouvoir conclure l'histoire. Un film doit commencer une histoire et la finir. Certains pourraient dire "Non, commencer c'est suffisant" mais je suis quelqu'un qui crée des films de divertissement donc je pense aux limites pour pouvoir finir l'histoire. Je n'ai pas pu faire plus avec le film. L'important est que Nausicaä ait fait le tour de Copernic quand elle a trouvé la signification, le rôle et le système de la mer de pollution. J'avais décidé que ce serait jusqu'où irait le film mais j'avais trop de choses que je ne pouvais pas placer dans ces limites et je n'ai pas pu les sortir. C'était bien sûr impossible, comme j'avais décidé d'écrire dans le manga, pour commencer, ce que je ne pouvais pas faire avec le film.
Yom : Voilà pourquoi le manga et le film de Nausicaä sont totalement différents. C'est à cause de cette manière de commencer et d'achever une histoire dans un film.
Miyazaki : Même si je devais faire le film de Nausicaä maintenant, après avoir fini le manga, je referai le même film. Je ne crois pas que cela changerait.
Yom : La manière dont finit le film a-t-elle influencé le manga?
Miyazaki : Comme je l'ai dit avant, le film s'est terminé et je n'ai pas écrit le manga pour le dupliquer. Je n'ai pas du tout pensé à ce que j'ai fait dans le film. De toute manière, j'ai oublié ce que j'ai fait -rires-.
Mais quand j'ai travaillé sur le film Nausicaä, j'ai maintenu que je faisais Nausicaä avec des souhaits, pas suivant la réalité. Mais quand j'ai fini le film, j'ai trouvé que je m'étais inséré dans le domaine de la religion beaucoup plus que je le voulais. J'ai pensé que ce n'était pas bien et j'étais vraiment amené dans une mauvaise passe. Ainsi, après le film, je me suis dit que j'appréhenderai le problème plus sérieusement pour continuer le manga mais une fois commencé, il y a trop de choses que je ne comprenais pas. Du début jusqu'à la fin, j'ai fini par écrire un tas de choses que je n'ai pas comprises.
Yom : Ce fut plus long après que vous ayez fini le film.
Miyazaki : Oui. Il a du y avoir des lecteurs qui allaient et venaient, et j'ai écrit dans le magazine en pensant qu'il se pourrait qu'ils ne comprennent pas ce qui se passe. Cependant, j'ai fini par trop penser aux choses que je ne comprenais pas.
Yom : Que voulez vous dire?
Miyazaki : Si nous prenons l'existence de Dieu comme principe, nous pouvons ainsi expliquer le monde. Mais je ne peux pas le faire. Néanmoins, j'ai mis les pieds dans un domaine où je ne voulais pas entrer, tels que les hommes ou la vie. Je peux réussir à comprendre le monde en tant que conflits et contradictions chez les hommes mais je ne me suis pas retrouvé satisfait avec ce niveau d'explication. Ensuite, je n'avais rien que je pouvais dire sur le ton de la confidence. Ma tête me tournait rien qu'en pensant à ce que vous feriez si vous étiez appelé "maman" par un guerrier géant avec une telle puissance de destruction. La perplexité de Nausicaä est juste ma propre perplexité.
Yom : à l'approche de la fin du manga, le guerrier géant a un rôle complètement différent de celui du film.
Miyazaki : Vous pouvez trouver une similitude avec beaucoup de cultures populaires où un géant vous donne une force. Comme le gardien d'éléphants dans Tarzan ou Tetsujin 28. La raison pour laquelle ils apparaissent tant de fois sous diverses formes, peut être expliquée par notre souhait de retourner à une grande existence ou notre tendance à vouloir grandir, ou quelque chose du même type. Habituellement, dans la culture populaire, cela a été rendu ambigüe en se contentant d'affirmer qu'un pouvoir immense est parfait, s'il est bon. En réalité, la plupart du pouvoir a été fait par la technologie. Je pense qu'une technologie en elle-même est neutre et innocente. C'est similaire aux automobiles. Elle sont loyales et toutes dévouées à leurs conducteurs. Nous nous sentons rassurés, en pensant que les machines n'ont pas de coeur mais en vérité, les hommes donnent des coeurs aux machines. Un coeur loyal, une dévotion innocente et le sacrifice de soi sont l'essence de vie des machines. C'est comme un chien qui obéit aux ordres de son maître, sans considérer comment le maître peut être diabolique. Je crois que penser que les humains donnent des coeurs aux machines est la base des trois règles d'Asimov pour les robots. Le guerrier géant de Nausicaä n'est donc pas une idée originale. Pour la conception aussi, vous pouvez trouver sa racine dans beaucoup de concepts qui existaient déjà. Mais à partir du moment où j'ai donné une forme tangible à l'innocence, c'est devenu quelque chose que je ne pouvais pas contrôler. Je pense que je lui ai donné une forme parce que j'ai un profond désir pour les innocents.
Yom : L'histoire a changé après que le guerrier géant soit devenu intelligent.
Miyazaki : Quand j'écris ce genre d'histoire, je ne vois pas d'autre explication que de penser qu'une idée me soit venue à l'esprit ou que des pièces sans signification aient signifié quelque chose pour moi. Même si les structures de l'oeuvre s'effrondraient, je ne devrais pas oublier ces pièces. Non, je ne peux pas bien l'expliquer. Je crois qu'il doit y avoir des gens qui peuvent l'expliquer avec des mots plus appropriés, profonds et affinés, avant même que je ne puisse commencer à y penser. J'ai malheureusement réalisé que je n'avais pas une telle facilité.
"J'ai perdu mes mots."
Yom : C'est ce que vous entendez par un domaine religieux?
Miyazaki : Les nombreuses choses dans l'esprit humain, dont nous disons qu'elles ont un sens, vous pouvez leur attribuer de diverses idées ou croyances et je pense qu'elles pourraient réellement exister dans la nature... Nous devenons confus parce que nous avons différents désirs matériels. Mais je crains que si nous voulons nous éloigner de telles désirs et rejoindre un lieu pur, nous devrions être capables d'atteindre un lieu comme une pierre ordinaire ou des gouttes d'eau. Mais à partir du moment où nous mettons ces pensées sous forme de mots, tout devient une religion méprisable. Je n'ai pas écrit ainsi et je n'ai pas atteint un tel niveau. Finalement, j'ai commencé à faire plus attention au guerrier géant qu'aux hommes.
Yom : Ou nous faisons plus attention aux Ohmu. Quand nous lisons Nausicaä, tant de choses se produit...
Miyazaki : En tombant dans une telle situation, les choses ne sont pas sorties. Tandis que je pensais quelques fois que c'était comme Docteur Strangelove, je n'ai même pas su si c'était vraiment étrange. Les choses que nous pensons, sont caractéristiques des humains, comme les sentiments, même si elles peuvent être partagées tel un simple poison moral, de par le monde. Peut être que ces choses que nous partageons, sont seulement suscitées chez les hommes. Ce sera impossible que j'y réfléchisse à moins que je le fasse avec un meilleur cerveau. Je pense jusqu'à présent, que je ne dois pas le mettre sous forme de mot. Je suis tombé dans ce genre de situation. Même si je considèrais que ce serait dangereux, je n'y pourrais rien parce que j'ai déjà introduit le guerrier géant il y a dix ans. Je n'ai pas le droit de dire "Je l'ai mis mais je l'ai oublié" -rires -. Ainsi, plutôt que créer l'histoire, j'ai juste suivi derrière.
Yom : Le récit évolue en lui-même...
Miyazaki : Plutôt qu'évoluer, il a juste été là. Et il n'a pas évolué pas dans la direction que je voulais. Néansmoins, j'ai du forcer l'histoire à aller dans la direction que je désirais, bien que je pensais personnellement, qu'elle était franchement erronée. Mais je n'aime pas faire cela. à la fin, est-ce que Nausicaä, la fille qui avait supporté tant de fardeau sur ses épaules, allait revenir à la vie normale? Une telle personne pouvait-elle vivre sans aller mal? La seule chose que je savais, c'est que même si elle ne pouvait pas revenir, elle continuerait à être là et à être témoin.
Yom : Il y a une sorte de solution dans le film mais dans le manga, depuis le début, Nausicaä pose beaucoup de questions. Et en ne les résolvant pas, cela fini avec de plus en plus de questions posées.
Miyazaki : Oui. Je n'y peux rien mais demander ce qu'est la vie est une question à laquelle je ne pouvais pas répondre, je le savais depuis le départ. Mon chien a seize ans et peut mourir d'un jour à l'autre. Il voit difficilement. Il parvient seulement à renifler un peu et une seule de ses oreilles fonctionne à peu près. Mais il est encore vivant. Quand je vois son visage, il ne semble pas heureux mais quand j'essaye de le sortir pour une promenade, il parait un peu plus heureux. Je me demande ce qu'est la vie. C'est étrange, depuis que j'ai perdu mes deux parents, j'y repense en voyant mon chien, mais par exemple, je ne pense plus au chien qu'il a été. Les ondes se déploient à la surface de l'eau et comme elles se déploient, elle diminuent graduellement. Ce sont les même ondes mais ce ne sont pas les mêmes ondes fortes juste après leur apparition - je ne comprends peut être pas cet état. Il y a beaucoup de choses où il est dit qu'une telle forme de vie est un support de gènes égoïstes mais après tout, nous ne comprenons pas plus. Depuis peut être des temps très reculés, de grands hommes se sont penchés sur la question. Je veux dire par là, que je viens de commencer à comprendre qu'ils ont ressenti quelque chose, semble-t-il, avant même que des choses comme les études ne soient institutionnalisées.
Yom : Vous apprenez qu'il y a beaucoup de choses que vous ne pouvez pas comprendre.
Miyazaki : Oui. Je comprends que je ne peux pas expliquer simplement et superficiellement la relation entre la nature et les hommes, ou la nature dans l'homme. Cependant, vivre est la manière de conserver cet "équilibre superficiel" et je peux dire que nous ferions mieux d'agir pour conserver un équilibre. Mais si je m'aventure plus profondément, je rencontre trop de questions chaotiques dans lesquelles je dois affronter l'obscurité de l'univers. Et il semble que la clef de ce genre de questions se situe dans les pensés des gens du passé, qui se sont enfouis dans les montagnes, plutôt que dans nos propres têtes. Ces jours-ci, j'ai été effrayé quand j'ai entendu des paroles religieuses que j'ignorais avant. J'ai senti, "Oh, on en a aussi parlé aussi". Derrière ces simples mots, par exemple, dans un livre élémentaire du Bouddhisme, il y a une grande expérience derrière ou beaucoup de choses simulaires. Je peux le ressentir mais c'est tout. Je ne peux pas les comprendre entièrement. Je suis désorienté. Au moment où je copie les mots, ils commencent à changer. Mais contrairement à des hommes comme Shinran, qui les a écrit sans crainte, je n'ai pas pu. J'ai décidé que Nausicaä ne dirait pas les mêmes choses parce que, inévitablement, cela aurait sonné faux. Je pense que j'ai compris les choses plus clairement mais comme j'ai écrit Nausicaä, c'est vraiment devenu plus difficile pour moi de faire la part des choses. Je veux dire que c'est comme si j'avais perdu mes mots. C'est juste comme si Nausicaä en personne restait en dehors du monde des mots, et j'ai pensé que je ne voulais pas la faire exprimer avec des mots. Du moment que je mets "Je pense que ceci est cela" sous forme de mots, cela devient une chose différente.
Yom : Peu après que Nausicaä ait dit "Je continuerai à mentir", le récit s'achève...
Miyazaki : C'est plus adapté à mon héroïne, c'est devenu ainsi. Je n'ai pas le choix mais c'est son amour pour les vies autour d'elle. De toute façon, " Nous avons raison, nous avons vaincu l'ennemi et la paix reviendra" est un mensonge. Au moins, je suis capable de dire de façon définitive, que c'est un mensonge. Il y a les bonnes choses et les mauvaises choses. Vous pouvez faire les bonnes choses. Mais la personne qui effectue les bonnes actions n'est pas nécessairement une bonne personne. Cela signifie qu'elle a fait des bonne choses. à l'instant qui suit, elle peut faire de mauvaises choses. C'est humain. à moins de penser ainsi, nous nous trompons sur tout, y compris sur les décisions politiques et sur nous-mêmes.
"L'effondrement de l'Union Soviétique a été plus facile que celle de Doruk."
Yom : Pendant la période ou vous écriviez Nausicaä, beaucoup d'évènements sont arrivés à l'exterieur du Japon. Y a-t-il eu quelque chose qui vous influencé?
Miyazaki : Le plus choquant a été la guerre civile en Yougoslavie.
Yom : Vous voulez dire?
Miyazaki : J'ai pensé qu'ils ne recommenceraient pas. J'ai pensé qu'ils étaient fatigués de poursuivre de tels actes comme ils avaient fait des choses si horribles avant, mais non. J'ai appris que les hommes n'en ont jamais assez. Cela m'a dit à quel point j'était naïf.
Yom : Contrairement à la guerre du Golfe, ce fut un vieux type de guerre.
Miyazaki : Dans un sens, la guerre du Golfe a été facile à comprendre. Le gouvernement irakien est très semblable au gouvernement japonais de la dernière guerre. Ils envoient juste les soldats dans quelques îles ou désert, et leur disent "débrouillez vous" sans leur envoyer d'eau ni de nourriture. C'était triste de voir de tels miltaires parce qu'ils ressemblaient aux militaires japonais. Mais c'est différent en Yougoslavie. Je pense que cela a été commencé par quelques groupes. Mais nous n'avons pas pu les arrêter. C'est comme la montée du nazisme en Allemagne, beaucoup de gens qui y étaient, ont dit que c'était juste une série de groupes mais ils ont grandi avec une force irrésistible. Par exemple, lorsque nous regardons les actualités à CNN, les Serbes paraissent mauvais de façon accablante. Mais si vous allez à la racine, c'est quelque peu différent. Il y a un conflit entre l'Europe de l'Ouest et l'Europe orthodoxe à l'intérieur de la chrétienté. Pas étonnant que les Serbes se méfient de l'OTAN. Ils préfèrent avoir les Russes. Alors, les Serbes ont-ils raison? Non. Les deux parties sont vraiment stupides et commettent des actes impardonnables. Même s'il y a une chose comme la justice, une fois que la guerre est enclenchée, tout est corrumpu. C'est la guerre.
Yom : Nausicaä a dit aussi "il n'y a pas de justice".
Miyazaki : J'ai diverses lectures comme je m'intéresse à la guerre. Les gens me pose donc des questions du style "Vous aimez la guerre". Je leur réponds "Pensez vous que les chercheurs sur le SIDA aiment le SIDA?" mais je suis forcé de reconnaître que ma compréhension de l'Histoire a été très naïve.
Yom : Et à propos de l'effondrement de l'Union Soviétique?
Miyazaki : C'est arrivé juste à l'époque où je décrivais l'effondrement d'un pays appelé Doruk dans Nausicaä. En l'écrivant, je me demandais s'il était possible pour un tel empire comme Doruk de disparaître si facilement, et j'ai donc été vraiment surpris que l'Union Soviétique se soit effondrée encore plus facilement. Un pays s'effondre et au même moment, les gens peuvent poursuivre leur vie quotidienne. Une telle chose peut vraiment se produire. Je me suis demandé pendant longtemps ce qui s'était produit, ce qu'il était advenu à ces gens qui vivaient quand l'Empire romain d'Occident est tombé, mais avec l'effondrement de l'Union Soviétique, j'ai eu une espèce de réponse.
Yom : Je dirai que c'est une bonne corrélation...
Miyazaki : Il y a eu beaucoup de choses que j'aurai du écrire sur la fin de l'Empire Doruk. Mais, d'un autre côté, je suis embarrassé de dire qu'il y avait une limite à ma productivité, seize pages par mois, et il y a eu beaucoup de choses que je n'ai pas écrites. Pourquoi le pays est-il tombé, ou pour commencer, quel était ce pays? Quelle sorte de système avaient-ils, pourquoi le système n'a plus marché... Je savais que je devais décrire ces points mais pendant que je me retranchais derrière l'excuse, que le temps me manquait, l'empire est tombé de lui-même dans le manga et dans le monde réel, l'Union Soviétique aussi.
"Nausicaä a changé ma façon de penser."
Miyazaki : Pendant que j'essayais de conclure Nausicaä, j'ai effectué ce que certains appellent un tournant. J'ai totalement abandonné le marxisme. Mais je n'ai pas eu d'autre solution que de l'abandonner. J'ai décidé que c'était faux, que son matérialisme historique aussi et que je ne devais plus voir les choses ainsi. Et cela a été un peu dur. Même maintenant, je pense quelques fois que les choses seraient plus faciles si je n'avais pas changé. Ce n'est pas que j'ai changé de manière drastique ou changé par une lutte sans merci pendant que j'écrivais, mais des questions intérieures me sont devenues irrésistibles. Je pense que ce changement net dans ma manière de penser est venu de mon écriture sur Nausicaä, plus que par le changement de ma position dans la société. Par exemple, au départ, j'ai même hésité à faire de Nausicaä la fille du châtelain Ghil - en clair, une princesse. Je croyais que certains pourraient dire que Nausicaä est dans une sorte de classe d'élite, je me l'imaginais donc ainsi, mais ces points sont devenus sans importance pour moi. Où elle était née ne représentait pas un problème. Je ne voulais plus avoir de telles discussions. Aucun problème avec la classe où quelqu'un nait, une personne stupide est une personne stupide et une bonne personne reste bonne. Ce n'est pas qu'untel ait raison ou tort, il faut juste savoir si c'est un bon gars, si j'ai envie de devenir ami avec lui. C'est un mensonge de dire qu'untel est bon juste parce que c'est un travailleur. Le grand public fait beaucoup de choses idiotes. Je n'arrive pas à croire aux élections. Avec ce genre de choses, je reviens aux sources. Ce n'est pas garder les yeux ouverts comme cela a été dit plusieurs fois. Si je pense revenir en arrière, mon visage s'assombrit mais je crois que je dois l'accepter. Je crois que je dois voir les choses à ma manière. Quand j'ai vu le film de Mao Tse-tung pour la première fois, qui recevait les acclamations de la foule sur la place Tiananmen, je crois que c'était à la fin des années cinquante, j'ai trouvé que son visage était vraiment néfaste et laid. Mais comme on m'avait dit qu'il avait une grande personnalité et un tas de choses, j'ai cru qu'il était malade et pas photogénique ce jour-là -rires-, je l'ai vraiment pensé. Mais en y repensant, j'aurai du suivre ma première impression. Cela s'est produit à beaucoup de reprises. J'ai toujours essayé de contenir mes sentiments avec mes idéaux. J'ai arrêté de le faire. J'observe aussi les politiciens contemporains juste à partir de mes impressions.
Yom : Avec votre intuition...
Miyazaki : Le sentiment que c'est une bonne personne plutôt qu'une intuition. Même si elle n'a pas des capacités politiques, c'est une bonne personne. Nous ne pouvons pas en espérer grand chose de toute manière, donc la plus gentille est la meilleure. J'en suis au stade de tenter d'observer les choses à ce niveau. En bref, je tourne le dos à la stupidité.
Yom : N'est-ce pas plutôt monter des escaliers en colimaçon plutôt que de tourner le dos?
Miyazaki : Je pense que je pourrai juste tourner autour sans arrêt. Par exemple, il y a un mouvement national appelé le Mouvement de la forêt de Totoro et ils utilisent les personnages du film pour promouvoir le mouvement. Mais je ne coopère pas parce qu'ils ont raison. Je coopère parce que ceux qui sont dans ce mouvement sont sympathiques. Ils sont si proches de la terre. Ce sont des personnes qui ont aimé les champs de Sayama bien avant qu'ils aient commencé le mouvement, ils se sont promenés dans les environs pour observer les plantes et les oiseaux pendant leur temps libre et en pensant comment ils pourraient faire quelque chose pour cet endroit. Parce que ce sont de tels gens, nous sommes heureux de leur laisser utiliser nos personnages. Si quelqu'un comme un fasciste de l'écologie était à leur tête, je me retirerais. Comme cela, ces jours-ci, je m'associe avec des gens non pas parce qu'ils ont raison ou bien tort mais parce qu'ils sont sympathiques. Mon monde devient donc de plus en plus petit -rires-.
"Résoudre le problème de l'environnement en nettoyant les rivières dans le voisinage."
Yom : Et à propos du Japon dont vous disiez être dégoûté avant de commencer Nausicaä?
Miyazaki : J'ai passé le stade du "Ca leur servira de leçon" après l'éclatement de la bulle économique et je me sens regaillardi maintenant. Les problèmes n'ont pas été du tout résolus mais cela a démoli le mur et des choses de l'extérieur sont en train de pénétrer. La pénurie de riz n'était rien. Ce n'est pas comme si les gens mourraient de faim. C'était plutôt étonnant par rapport à la puissance économique, cependant.
Yom : Vous voulez dire que si nous voulons, nous pouvons importer.
Miyazaki : Si c'était arrivé dans les années 1940, il y aurait eu un grave problème, mais maintenant nous avons juste quelques plaintes du genre "Le riz thai n'est pas aussi bon". J'ai pensé que c'était une puissance économique étonnante. Au même instant, je croyais aussi qu'il était dur de survivre pour un pays sans puissance économique. Je suis lassé de discuter de l'agriculture japonaise. Si je dis ceci, je pourrai être pourtant mal compris. Il m'est arrivé de rencontrer un fermier qui m'a dit qu'il voulait conserver un riz bio sans pesticide et j'ai donc décidé de lui acheter son riz, même si le prix a monté dans cette mauvaise année de récolte. Le problème de l'agriculture a été résolu ainsi chez moi -rires-. Bien sûr, il n'y a pas de solutions mais je n'apprécie pas les expressions sensationnelles du genre "L'agriculture japonaise est perdue" autant que je n'aime pas "Les films japonais sont morts" bien que je comprenne leur colère. Je sens d'un manière ou d'une autre que ce n'est pas cela. Vous ne gagnez pas ni ne perdez si facilement. J'ai seulement été irrité quand j'ai entendu la coopération agricole croire être dans l'un ou l'autre cas pendant que nous discutions des problème agricoles. Je veux juste le résoudre à un niveau personnel. Ce n'est pas quelque chose dont je puisse être fier. Mais, même ainsi...C'est différent si quelqu'un commence à mourir de faim, cependant. Ces derniers jours, j'ai ainsi réfléchi. Aux problèmes d'environnement aussi. Comme les gens de la commune nettoient la rivière dans mon voisinage, je les rejoins quand j'ai le temps. Cela veut juste dire que nous portons seulement les sacs poubelles, vous savez. En bref, il y a beaucoup de choses contre lesquelles nous ne pouvons rien faire si nous les considérons en tant que généralités. Les choses ne vont pas bien parce qu'il y a un immense fossé entre les généralités et les particularités. Mais un homme peut souvent se satisfaire des particuliarités. C'est ce que j'aime le mieux actuellement. Si nous regardons les généralités depuis le sommet d'une montagne ou d'un avion, nous sentons que c'est sans espoir mais si nous redescendons, il y a une belle route de cinquante mètres, nous sentons que c'est une belle route et si le temps est beau et ensoleillé, nous sentons que nous pouvons avancer. Je me demande si nous nous sentons si différents selon nos points de vue. Je crois qu'effectuer de telles actions me convient mieux que de parler de grandes choses sur une scène dans un colloque ou une conférence. Mais je conduirai une voiture et polluerai. Si tout le monde doit arrêter, je ferai de même mais sinon, je continuerai à conduire jusqu'au bout. Augmentez le prix du carburant à trois cents yens par litre -rires- Euh, je jase comme il me plait, n'est-ce pas?
Yom : Ainsi, il n'y aura pas tant de voitures.
Miyazaki : Je me mets en colère quand j'entends quelqu'un dire "Si nous baissons le prix du carburant, cela stimulera l'économie japonaise". Seulement ceux qui désirent en payer le prix, devraient conduire. Que tous conduisent une voiture n'est pas un progrès ou une équité chez les hommes ou autre chose. Maintenant, nous avons le problème de la popularisation de tout. Comme j'appartiens au grand public, même si je vois un film du Zeppelin et désire piloter un dirigeable, si je suis dans ce cas, je ferai partie de ceux qui ne peuvent pas en piloter un. Cependant, je ne crois pas que nous ferions mieux de laisser à tout le monde l'occasion de piloter un dirigeable.
Je suis en train de penser à mettre de la terre et de l'herbe sur le toit de ce bâtiment cette année. Cela ne résoudra aucun problème mais c'est mieux d'agir que d'être juste en colère. J'ai entendu dire que le coût du chauffage et de la climatisation changerait en procédant ainsi. Beaucoup de gens disent que ce n'est pas une grande solution et ce n'en est pas une mais je pense que si je peux le faire, je le ferai.
Il existe un photographe qui travaille sur un projet pour inviter au Japon des enfants victimes des radiations à Tchernobyl et pour leur fournir un traitement. Après être restés au Japon pendant un mois, ils sont devenus en meilleure santé, comme ils avaient aussi une meilleure nutrition. Par exemple, un enfant qui avait arrêté de grandir s'est remis à croître. Mais il sait que l'enfant reviendra à l'état précédent, une fois retourné chez lui, un mois plus tard. Et il est torturé par la pensée que même s'il amène dix gosses ou plus au Japon, ce sera inutile pour le reste des autres milliers d'enfants. Je crois que c'est juste bien - bien que si je dis cela, je risque de ne pas être compris - Je pense que c'est ce que les individus peuvent faire. "Est-ce sans importance si l'enfant meurt?" Non, cela ne l'est pas. Peut être que ce que ces enfants ressentaient à cet instant représente tout. Mais du moment où je mets ce genre de chose sous forme de mots, il y aura un malentendu quelque part. C'est difficile. Si nous essayons de juger selon les résultats, beaucoup de choses deviennent difficiles. Si nous disons "Ce moment est important", quelqu'un pourrait le prendre comme si nous avions seulement fait attention à ce moment. C'est difficile. C'est vraiment dur de le transposer sous forme de mots.
Yom : C'est facile d'accuser les mots. Tout ce que vous dites, vous pouvez le renier.
Miyazaki : Il y a beaucoup de choses que je ne peux pas transposer sous forme de mots. Je dis "Nous devons juste nettoyer la rivière" parce que trop de gens me placent l'étiquette "ecolo" sur le dos.
Yom : Vous avez prononcé ces paroles dans l'intention de créer une contreverse.
Miyazaki : Oui. En vérité, je ne voulais rien dire. Je ferai mieux d'agir et de ne pas dire un mot. C'est mieux si je crois que je fais ceci, parce que c'est un effort commun.
"Laisser ce que je ne comprends pas."
Yom : Après avoir fait le film Nausicaä, et tandis que vous continuiez à écrire Nausicaä, vous avez fait des dessins animés tels que Laputa, Totoro, Kiki et Porco Rosso. Ce sont des dessins animés d'un type différent de Nausicaä.
Miyazaki : Je crois que j'ai été capable de les faire parce que j'écrivais Nausicaä. Je considère Nausicaä comme étant le plus dur. C'est éprouvant de revenir au monde de Nausicaä et je ne veux pas y revenir. Même si j'écrivais dans ce monde, écrire un tel travail a compliqué mon retour vers la société.
Yom : Vous continuez à vous effacer?
Miyazaki : Oui. Mais si je suis au milieu de la production d'un film, c'est tout un tas d'histoires. Mon attention est focalisée sur tous les détails quotidiens. "Quel bêtise fait-il encore?" ou "Il ferait mieux de prendre une femme" -rires- ou ce genre de sujets. C'est vraiment matériel. Et nous faisons un tas d'histoires pour savoir si les gens viendront voir le film ou pas. Après avoir fini un film, abattu, je déconnecte et Nausicaä attend ensuite. Je déteste cela. J'ère autour six mois ou plus et alors, je commence à écrire parce que je n'ai pas le choix. Mais comme je l'ai dit avant, pour avouer la vérité, j'ai fait des films parce que je voulais m'échapper de Nausicaä. Je n'avais pas l'intention de faire un travail léger parce que je faisais beaucoup ici mais si je n'avais pas écrit Nausicaä je crois que je me serais acharné à mettre un peu plus de consistance dans les films. En prenant du recul, c'est ce que je pense maintenant. Je ne pensais pas ainsi et je les ai fait parce que je croyais que ce genre de films était bon. Ce n'était pas comme si j'avais planifié l'écriture de Nausicaä et je ne pensais donc pas que je ne ferai rien ensuite.
Yom : Quels sont vos perspectives après avoir conclu Nausicaä.
Miyazaki : Conclure Nausicaä ne signifie pas que les évènements se sont terminés ou ont été conclus. Les choses continuent sans fin mais nous sommes arrivés au point du "à partir d'ici vous êtes au courant". Je veux dire que nous sommes au même point de départ de notre monde moderne, si difficile à comprendre. à partir de ce point, d'innombrables choses stupides arriveront et il y aura des efforts pour aussi leur tenir tête. Et elles se répèteront encore et encore. J'ai essayé de conclure au point où nous pouvions commencer à l'apercevoir. J'ai réalisé ceci pendant que j'écrivais mais le rôle de Nausicaä n'est pas réellement celui d'un leader ou de conduire les gens. Et la structure du récit est telle que les gens qui ont cru en Nausicaä continuent à faire bouger les choses. Ce n'est donc pas une intrigue habituelle dans la façon où les histoires sont structurée en générale. Cela m'a également troublé. C'est fini mais j'ai beaucoup de choses que je dois sortir comme celles-ci au moment où le dernier volume sera publié. Mais j'ai décidé d'arrêter, en laissant les choses que je n'ai pas comprises telles qu'elles sont. D'un autre côté, je ne peux pas terminer l'oeuvre que j'ai commencé à quarante ans et je ne peux pas devenir plus mature. En réalité, au moment où j'ai fini d'écrire, j'ai commencé à ressentir que je devenais un homme âgé. Mais rien n'est fini. Je ne me sens donc pas du tout soulagé. Je regrette de ne pas avoir pu laisser mon fardeau. J'ai cru que les choses seraient plus faciles pour moi mais ce ne fut pas le cas. J'ai pensé que ce serait plus facile comme je n'avais plus à écrire mais cela signifie seulement que l'oeuvre la plus éprouvante en second a été promue à la place de la plus éprouvante tout court -rires -.
Yom : De toute manière, nous pouvons voir au moins qu'il reste beaucoup de problèmes.
Miyazaki : Oui. Et Nausicaä le sait plus que quiconque.